Axelle Red : « Je refuse de me laisser enfermer dans un âge »

Flamboyante, l’icône pop-soul métabolise son propre questionnement intérieur en écrivant des chansons. L’apaisement est à ce prix pour cette artiste idéaliste et romantique qui doute toujours, cette femme engagée, spontanée, hyper sensible, cette mère majuscule, mue par le désir de devenir meilleure. Alors que son nouvel album Exil est sorti récemment,  Axelle Red nous ouvre son âme…

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Exil, une métaphore du voyage de la vie

Amoureuse des grands sentiments et adepte d’un positivisme XXL, Axelle Red ne laisse pas s’éteindre la flamme. Plus de vingt ans que l’auteur-compositeur-interprète arpente les scènes et les studios, comme elle en avait rêvé enfant. Un rêve en lettres capitales, qu’elle continue à nourrir de son exigence et ses remises en question continuelles. Et si son gigantesque besoin d’amour était comblé ? Et si sa plume s’était asséchée ? Et si le courage venait à lui manquer ? Toutes ces interrogations l’effleurent, la travaillent, la traversent. Et lui permettent de progresser. Un souci majeur chez elle, humainement et artistiquement.

Tout comme sa parole, débordante et irrépressible, sa générosité jaillit en grand. L’engagement n’est pas un vain mot chez elle, l’humanitaire n’est pas une pause, mais une façon de vivre. L’expression d’une empathie parfois excessive, qu’elle apprend à gérer avec les années. Le temps si « cruel » est aussi un allié précieux pour trouver le bonheur. « Ce qui est chouette quand on devient plus âgé, c’est qu’on commence à mieux comprendre les choses », observe-t-elle.

« Les erreurs sont humaines, tant qu’on essaye de faire le mieux possible. Quand on sait cela, on se débarrasse de la culpabilité, on se redresse et on continue. Il s’agit de trouver un équilibre, une harmonie en marchant sur la corde. Ce qui compte, ce n’est pas d’arriver de l’autre côté de cette corde mais d’avoir du plaisir à y rester. Chaque moment, même avec ses failles, doit être savouré. J’y arrive mieux maintenant, de manière plus prolongée. J’ai l’impression que j’ai parfois raté l’essentiel parce que je stressais pour des détails, j’étais aveuglée par la quête de perfection. » C’est précisément le thème de son nouvel album, Exil, métaphore du voyage de la vie, du déracinement, où elle nous exhorte à croquer l’existence sans attendre.

 

Au bout de 25 ans de carrière, est-ce que tu doutes toujours de toi au moment d’écrire un nouveau disque ?

Axelle Red : Oui, je redoute parfois de voir mon inspiration se tarir. Mais je sais quelque part que quand je m’y mets, il y a toujours des chansons qui naissent. Ce n’est pas le fruit du hasard. J’ai aussi appris qu’il me suffit de regarder en arrière pour être rassurée, retrouver la confiance. Je l’ai constaté pour mon album précédent (The Songs, NdlR), où je revisite certains de mes anciens titres en version acoustique. Mais cette fois-ci, je me demandais surtout si j’allais vraiment avoir le courage de faire cet album. C’est un sacré voyage.

Transformer le négatif en positif, c’est une forme de résilience ?

A.R. : Mes albums m’ont toujours servi de thérapie. Pour tout. Pour redevenir positive quand je ne l’étais plus, pour comprendre, pour ne plus être fâchée. Mais je suis contente de ne pas avoir tout chamboulé exprès autour de moi, pour retrouver de l’inspiration. Il y a beaucoup d’artistes autodestructeurs qui ont agi comme ça dans mon entourage. Je passe par des cycles. Je réfléchis tout le temps. Plus que je lis. Parce que j’aime bien me faire ma propre opinion, trouver moi-même le chemin qui mène à la réponse et trouver ainsi la paix. Je me suis créé mon propre regard sur la vie. Et après, j’aime lire les grands penseurs, qui ont pesé toutes ces questions avant moi.

Le goût de la musique t’est venu de ta maman ?

A.R. : Ma maman avait plein de disques soul et on écoutait des choses que peu de monde écoutait, comme Isaac Hayes. Mais aussi du disco et de la variété française (Joe Dassin, Aznavour). J’ai eu une révélation en regardant le groupe Abba à l’Eurovision ! Je me suis dit que c’était ce que je voulais faire dans la vie. J’avais cette passion pour la musique, puis on s’est rendu compte que j’avais une voix, que je chantais juste. J’adorais déjà être sur scène et danser.

 

 

Jan Welters

Être mère et artiste, c’est compliqué à concilier ?

A.R. : Quand je compose une chanson, mes enfants me disent que je suis en train de m’amuser. Ou alors ils me reprochent d’être sur mon téléphone pour y écrire des textes. Je le dis souvent au public : heureusement que vous êtes là, parce que sinon, mes enfants diraient que je ne travaille pas mais que je m’amuse. J’ai droit à combien de temps pour moi ? Je me sens souvent comme Cendrillon. Comme ce matin, je ne trouvais plus mon pull parce que mes filles me l’avaient pris. Je peux aller au bal si je couds ma robe moi-même, avec les restes de tissus (rires). Si j’ai fait le petit-déj’, le lunch, le goûter et le dîner, alors je peux partir à Paris faire ma promo.

Et quelle mère es-tu avec tes trois filles ?

A.R. : Je suis une mère-poule. Devenir maman, c’est vraiment être amoureuse. Ce sont les mêmes émotions. Je l’ai senti pour les trois. J’ai dû me calmer avec l’arrivée du 2e enfant. Pour le premier, c’était tellement fort que cela me rendait à la fois heureuse et malheureuse. L’idée de perdre la fusion quand il sort de ton ventre, de le voir s’attacher à plein de gens, cela m’affolait. J’étais jalouse, c’était chimique. Mais devenir mère m’a aussi enlevé ma créativité musicale, parce que je venais déjà de créer un être, la plus belle chose possible. Cela reste difficile à concilier, la création et la maternité. On crée parce qu’on a la tête vide et on n’a plus jamais la tête vide quand on a un enfant. Je vis les émotions de quatre vies. C’est épuisant.

Il est beaucoup question d’amour sur ton nouvel album. Un amour à l’épreuve du temps. C’est quoi le secret d’un couple qui dure ?

A.R. : On a de la chance, Filip et moi (ils se sont rencontrés sur les bancs de l’université de droit, NdlR), mais on n’est pas à l’abri. Les couples qui durent restent très fort à l’écoute l’un de l’autre et de leurs projets, je pense. Ils parlent de la direction qu’ils prennent ensemble. Souvent, on donne la priorité à la carrière de celui qui a le plus de clés de réussite. Si j’avais connu échec sur échec, j’aurais repris un autre métier en même temps. Je vois des pères qui choisissent de rester à la maison avec les enfants. Mais cela reste très mal accepté. Dans notre cas, nos deux carrières vont de pair

Tu as fêté tes 50 ans récemment. Voir son image vieillir, c’est d’autant plus dur quand on est exposée ?

C’est cruel, je ne m’en cache pas, je le vis très mal. Je ne veux plus avoir d’âge, je n’en ai pas. Je me sens aujourd’hui plus jeune qu’il y a 10 ans, un moment où je me posais beaucoup de questions et où je ne trouvais pas de réponses. Bref, c’est relatif. J’ai même parfois 16 ans dans ma tête. Quand je suis avec les potes de mes filles et qu’on rigole, j’oublie que je n’ai pas leur âge. Pas parce que je suis la mère cougar ridicule qui veut s’habiller comme sa fille, mais parce qu’on a de vrais échanges, sur mon vécu et leur point de vue. Idem, en dansant et en chantant, on n’a pas d’âge. Je refuse de me laisser enfermer dans un âge mais la société le fait. Et la société, c’est nous quelque part. On est tellement à vouloir la jeunesse et la nouveauté qu’à 25 ans, on est déjà vieux pour démarrer dans un métier artistique.

Dans la chanson C’est ainsi, tu abordes le côté inéluctable de la mort. C’est une question à laquelle tu penses beaucoup ?

Non. Je sais que tout peut s’arrêter demain et cela m’encourage à être bien maintenant, pendant le voyage, pas pour le trophée qu’on veut atteindre à la fin. Peut-être qu’on ne sera plus en vie pour le recevoir. Quand je suis confrontée à la mort, j’y pense bien sûr. J’ai été à plusieurs enterrements récemment. De gens trop jeunes, coupés en plein vol. C’est très dur à accepter. Pareil quand les générations s’inversent. On me demandait l’autre jour comment j’aimerais mourir… J’ai répondu : ‘Avant mes enfants’.


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