Chanel, luxe artisanal

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Nouvelles collections, nouveaux marchés. Mais une constante : la maîtrise du savoir-faire artisanal. Voilà ce qui conduit Chanel à racheter des ateliers en voie de disparition. Bruno Pavlovsky, Président des Activités Mode de Chanel, explique.

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« Chanel crée huit collections par an, soit une toutes les six semaines. Chacune d’entre elles doit être réalisée dans un temps record selon les mêmes critères de qualité, pour être proposées au même moment dans nos 185 boutiques à travers le monde », explique Bruno Pavlovsky. Coco Chanel répétait souvent : « Mes vestes sont jolies à l’extérieur comme à l’intérieur ». C’est toujours vrai aujourd’hui, car les détails faits main sont en tout point identiques à ceux d’il y a 50 ou 70 ans. Pourtant, les pièces phares de la marque ont plusieurs fois été remises au goût du jour par Karl Lagerfeld, à la barre de la création depuis 1983. « Nous faisons encore appel à la plupart des fournisseurs sélectionnés par Mademoiselle Chanel, souligne Pavlovsky. Et quand, à cause des aléas du marché, certains étaient en difficultés, nous les avons rachetés afin de préserver leur savoir-faire. Nous ne pouvons pas nous permettre la faillite de nos artisans et de devoir ainsi parcourir 2.000 à 3.000 km pour une broderie ou une passementerie… » C’est ainsi que depuis 1997, anticipant l’engouement pour le luxe artisanal, Chanel regroupe ces petites Maisons rachetées, au sein de la société joliment nommée Paraffection.

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Atelier Lemarié

Depuis 2002, Karl Lagerfeld consacre chaque année un défilé à ces métiers d’art. Celui qui a dernièrement eu lieu à Edimbourg, dans les ruines d’un château jadis habité par Marie Stuart, marquait l’arrivée de la dixième entreprise artisanale : la manufacture de tricot et de tweed écossais Barrie, fondée en 1870.

Backstage

Backstage

« Ces ateliers sont essentiels pour notre créativité. Même rachetés par Chanel, ils restent libres de collaborer avec d’autres marques. C’est d’ailleurs un atout puisque cela leur permet de relever des défis créatifs différents et de préserver leur patrimoine », explique Bruno Pavlovsky.

Ce diplômé de Harvard qui a fait ses premières armes dans la société de conseil Deloitte, est arrivé chez Chanel il y a 23 ans. Il a su gravir les échelons jusqu’au poste de manager appuyant la créativité visionnaire de Karl Lagerfeld. Leurs bureaux sont proches du QG de la marque, rue Cambon à Paris. « Lorsque j’ai intégré l’entreprise, elle possédait une cinquantaine de boutiques. Aujourd’hui, ce nombre a plus que triplé. Nous en ouvrons environ dix par an. »

Atelier Desrues

Atelier Desrues

Chanel est très présent sur le Web grâce à ses blogs, sa chaîne YouTube, son compte Twitter et sa page Facebook qui compte plus de 7 millions de fans. Chanel ne vend pourtant pas en ligne pour préserver l’expérience dans les boutiques, vecteurs d’un véritable imaginaire sensoriel.

Bruno Pavlovsky est marié et a quatre enfants. « Je tente d’encourager mes enfants à suivre leurs passions en les laissant libres de rêver sans les forcer. Ma mission, ma fonction, c’est de créer du rêve. Y croire et tenter de le réaliser, en aidant aussi les autres à réaliser les leurs, c’est selon moi la marque distinctive du gentleman moderne. »

Atelier Montex

Atelier Montex

Selon Pavlovsky, la gestion de la créativité est l’élément qui différencie le management d’une société de luxe par rapport aux autres entreprises. « La créativité n’est pas une constante : elle change d’une saison à l’autre », précise-t-il. « Le rôle de nos managers consiste à faire en sorte que la croissance soit constante, malgré les hauts et les bas. Mais le génie de Karl Lagerfeld simplifie pas mal de choses… », plaisante-t-il.

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Desrues
Dans cet atelier à Plailly, qui donne sur les campagnes de l’Oise, quelque 200 artisans fabriquent des boutons, des chaînes, des émaux, des dorures, des ornements et des bijoux. Georges Desrues décide de se mettre à son compte en 1929 et travaille d’emblée pour des monstres sacrés tels que Lanvin, puis Dior et Saint Laurent. En 1965, il rencontre Chanel, à qui il vendra son entreprise en 1984 par crainte de la voir disparaître après sa mort (en 1992). Outre Chanel, parmi ses clients actuels figurent Louis Vuitton et bien d’autres.

 

Lesage
Dans les archives de Lesage, plus de 60.000 échantillons racontent 120 ans d’histoire. Albert Lesage, le fondateur, a repris la maison de broderie Michonnet qui avait travaillé pour Napoléon III, Worth, Paquin et Vionnet. Il collabore avec Schiaparelli avec qui il travaille sur la base des esquisses de Jean Cocteau. Pour Vionnet, il invente la coupe en biais et la technique de l’ombré. Depuis 1947, son fils François collabore avec Dior, Balenciaga, Givenchy et depuis les années 1980, avec Lagerfeld et Calvin Klein. Dans chaque recoin de l’atelier, on trouve des cristaux, des brillants, des paillettes, des fils de soie de mille couleurs, qui donnent vie à des motifs surprenants.

 

Montex
Fondé en 1939, l’atelier emploie aujourd’hui une trentaine de brodeuses et une cinquantaine pendant les défilés. Le travail des brodeuses commence toujours par un dessin reproduit sur un papier calque. Le contour est ensuite poinçonné et passé au blanc d’Espagne avant la réalisation sur tissu. Le crochet est l’une des spécialités de l’atelier. Outre Chanel qui l’a racheté en 2011, l’atelier collabore avec Dior, Valentino, Givenchy, Yves Saint Laurent, Louis Vuitton et Céline.

 

Lemarié
En 1900, Paris comptait plus de 300 manufactures de plumes, indispensables à la décoration des chapeaux. En 1960, elles n’étaient plus que 50. Aujourd’hui, Lemarié est pratiquement la seule. Fondé en 1880, ce plumassier a été propulsé dans l’univers de la haute couture grâce à une collaboration avec les plus grands. Pour Karl Lagerfeld, Monsieur Lemarié est « le seigneur des camélias », une fleur devenue l’icône de Chanel qui a été déclinée de mille façons : du tweed à la fourrure en passant par la soie, l’autruche et la perle. Il en a livré plus de 50.000 à Chanel. Parmi ses clients : Chanel, Dior, Lacroix, Givenchy, mais aussi Valentino, Dolce & Gabbana et Armani. Tout est fabriqué dans la Rue du Faubourg Saint-Denis, au centre de Paris.

Texte : Tommaso Palazzi
Photos : Benoît Peverelli
Parution : Gentleman n° 2 – Automne / Hiver 2013


Article « Chanel, l’artisanat au service du style » publié sur le www.gentleman.be


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