Circulation, liens et interconnexions, Asad Raza à la fondation Boghossian

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Nouveau membre de la Fondation Boghossian depuis décembre 2015, Asad Raza en est le directeur artistique. Le 13 mai dernier, le voile s’est levé sur Répétition, sa première exposition à la Villa Empain. Pour l’occasion, Life Magazine l’a rencontré afin de percer quelque peu les intentions de cette personnalité incontournable du monde de l’art actuel.

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 « Pour moi, l’art est quelque chose qui devrait ressembler aux gens, à la vie. »

Américain né à Buffalo, une ville de l’état de New York proche des chutes du Niagara, Asad Raza a un parcours riche de diverses expériences. De New York à Berlin, en passant par Bruxelles, il touche à tout pour se focaliser petit à petit sur l’art et les expériences artistiques. Il ne prétend pas révolutionner la manière d’exposer mais il a apporté, au fil des ans, des nouveaux moyens de consommer l’art. Dernier exemple ? The Home Show, l’exposition organisée l’an dernier dans son appartement new-yorkais durant laquelle le public était invité à visiter son domicile, pas spécialement vide ou particulièrement mis en scène mais habité d’œuvres imaginées par des artistes et nécessitant une action quotidienne du locataire des lieux : Asad Raza. Ce dernier servit par ailleurs de guide aux nombreux visiteurs peu habitués à ce genre d’intimité culturelle. Sa vision de l’art et de son expérimentation est résolument ancrée dans la vie et le mouvement qui l’anime. Elle conjugue les relations entre les œuvres et le lieu, les œuvres entre elles et avec les « regardeurs » comme le disait si justement Marcel Duchamp.

« Rien ne se perd tout se crée, tout se transforme… » pourrait-on dire pour détourner Lavoisier. Répétition a été conçue comme un système au travers duquel circulent images, objets et corps, l’exposition est évolutive. Elle n’est déjà plus celle que nous avons pu voir lors de son ouverture. En effet, des « invités » en modifient quotidiennement la scénographie. Ils réinventent le propos de l’exposition pour devenir co-auteurs de Répétition. Ces changements s’effectuent pendant les heures d’ouverture et le public peut dialoguer avec ces « invités » pour peut-être les influencer afin de devenir lui-même acteur…

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Asad Raza ne connaissait pas encore le Life Magazine, mais a trouvé son concept très intéressant. Et si la vie commençait à 50 ans ?  « Ce serait bien… » répondit-il… Notre rencontre fut donc ponctuée de références à cette génération.

Life Magazine – Qui êtes-vous Monsieur Raza ?
Asad Raza – J’ai différents rôles dans la vie, comme tout le monde. Je suis un artiste, je suis un producteur, je suis un écrivain, je fais les choses qui se présentent et qui me semblent intéressantes. J’ai commencé par étudier la littérature et la réalisation, puis je suis devenu professeur, journaliste et activiste politique. Après cela, j’ai commencé à être de plus en plus connecté à l’art, à avoir des projets artistiques. Tout d’abord, en tant que producteur, beaucoup avec Tino Sehgal (artiste anglais vivant à Berlin, ndlr), c’est un de mes plus proches collaborateurs, puis avec d’autres et enfin seul. Voilà, je pense que c’est qui je suis… (rires).

Comment êtes-vous arrivé à Bruxelles ?
Je suis venu pour prendre part à la direction artistique du programme de la Fondation Boghossian. La première fois que j’ai parlé de cet endroit, c’est avec Ralph Boghossian en janvier 2015 et j’ai trouvé le projet intéressant car c’est un musée, mais basé dans une architecture conçue originellement pour être une maison. Donc pour moi, c’est un endroit idéal, qui combine l’art et la vie. Une maison est conçue pour la vie et pas comme ce que j’appelle « un cimetière d’objets ». Ce que par contre un musée est censé être ou était censé être…

Qu’est-ce qui vous intéresse à Bruxelles ?
Je pense que c’est une place très pertinente pour travailler l’art actuellement. L’art doit créer de nouvelles situations dans la vie, de nouvelles possibilités, de nouveaux désirs. Pour moi, Bruxelles est l’une des villes où ce genre de choses peut se produire parce que Bruxelles est une des plus belles expériences multiculturelles en Europe. D’une manière générale, les gens se mixent de plus en plus, comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant. Bruxelles est un excellent exemple de cette mixité et si cela marche, ce sera une place où l’on pourra « montrer comment cela marche », tirer des enseignements. (…). La seconde raison pour laquelle Bruxelles m’intéresse, c’est que c’est la plus importante ville en termes de chorégraphie en Europe…

Quelle « mini révolution » avez-vous apporté à la Fondation Boghossian ?
Révolution est un peu la métaphore de renverser tout un régime. Je ne veux pas faire de mini révolution car ce qu’ils ont fait ici précédemment est bien ! Il y aura plutôt des petits changements : augmenter ceci, ajouter cela plutôt que de tout jeter. En histoire, majoritairement, une révolution mène à une contre révolution et toutes les vieilles habitudes ont tendance à revenir, encore plus fortes. Pour moi, l’idée de tout balancer me semble un peu immature, un peu comme une idée d’adolescent, mais mon idée est plus celle d’une personne de 50 ans et plus, plus sage. Il ne faut pas nécessairement tout jeter car c’est difficile de tout reconstruire, et puis il y aura de grandes réactions contre vous, c’est mieux d’ajuster, c’est ça qui modifie les choses plus profondément.

Vous basez votre travail sur la relation entre le public et les objets, les gens entre eux et les œuvres entre elles, etc. Pouvez-vous développer ?
Tout d’abord, je ne pense pas que l’art se limite aux objets dans une exposition. Je pense que l’art contemporain va de plus en plus au-delà des objets et amène à des performances globales… Je pense que nous devons repenser les institutions artistiques non comme des lieux de présentation statique mais comme des endroits propices à créer de nouvelles interactions entre les gens. Donc pour ce nouveau show (Répétition, ndlr), j’ai imaginé un concept qui va évoluer constamment pendant les trois mois de l’exposition. Les changements s’effectueront grâce à un groupe d’invités qui, tous les jours, vont modifier les installations, bouger les œuvres d’une place à l’autre, réarranger, réorganiser les œuvres. Au fil du temps, le show aura un caractère tout à fait différent.

Et vous pensez donc que comme cela les visiteurs reviendront ?
Je n’en ai pas la moindre idée, j’essaie simplement de créer une situation que je trouve intéressante. L’exposition d’objets statiques est un modèle basé sur l’idée de la sculpture, sur des œuvres immuables. Ma pensée est qu’une exposition doit être une situation plus vivante, un organisme qui ne reste pas le même, qui est constamment en mouvement, il grandit et il apprend des choses…


Répétition
Jusqu’au 21 août 2016
Fondation Boghossian – Villa Empain
Avenue Franklin Roosevelt, 67
1050 Bruxelles

 


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