La Femme de la Semaine : Rencontre avec Katayoun Shahabi

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Comment une petite fille habitant à Téhéran peut-elle devenir jurée au festival de Cannes à 48 ans seulement et CEO de deux des plus importantes sociétés privées de distribution et production de films ? C’est la question que nous avons posée à la célèbre Katayoun Shahabi. Ce témoignage est celui d’une véritable émissaire de l’indépendance féminine qui a vu son pays se transformer à la suite de la révolution iranienne et de l’invasion irakienne. C’est l’histoire d’une femme qui s’est hissée jusqu’au sommet grâce à sa force de conviction, sans jamais se laisser intimider par ceux qui préféraient la voir en prison.

Une femme libre

Le régime du Shah Muhammad Reza Pahlavi, au pouvoir depuis 1941, avait pour but d’instaurer les fondements de l’ordre pro-occidental et de changer durablement la face de l’Iran. La révolution de 1979 a contraint celui-ci à l’exil. Une république islamiste nationaliste dont la législation s’inspire de la charia est instaurée. Un an après cet événement qui déstabilisa le pays, l’armée de Saddam Hussein prend d’assaut le pays. La guerre entre les deux puissances durera 8 ans et fera près d’un million de morts dans le camp iranien. À cette époque, Katayoun avait 13 ans. Éduquée depuis toujours dans une famille d’artistes croyant à la liberté des femmes, les dégâts de la guerre qui foudroient son pays la heurtent, mais ne détruisent pas pour autant ses rêves.

« Mes parents étaient de classe moyenne. Ils avaient tous les deux fait des études supérieures. Ils étaient donc très attentifs à l’éducation de leurs quatre filles. Dès mes quatre ans, ils m’ont inscrite dans une école française. Mon envie de créer vient très certainement du fait que je suis née dans une famille d’artistes. Les conversations tournaient autour de l’art et de la littérature. Mon grand-père était un peintre reconnu. Personnellement, j’étais plutôt cinéphile. Je me rappelle avoir demandé comme cadeau d’anniversaire, pour mes 10 ans, une petite télévision pour regarder ce que je voulais. J’ai appris par cœur tous les programmes de la télévision iranienne : les feuilletons, les animations, etc. À 13 ans, j’ai demandé à mon père de m’envoyer dans un pensionnat en France. Je ressentais le besoin de devenir plus indépendante et d’apprendre à me débrouiller de moi-même, car ma famille me couvait énormément. Mon père n’a jamais essayé de m’en dissuader. Il est venu en France avec moi, m’a acheté tout ce dont j’avais besoin et est retourné à Téhéran. Là bas, j’ai continué à entretenir ma passion pour le cinéma ; j’allais chaque mercredi voir un film grâce à l’argent que je récoltais en travaillant par-ci par-là. Le début de la révolution iranienne commença quelques mois après mon arrivée en France. Ensuite, ce fut le début de la guerre avec l’Irak. J’ai dû attendre cinq ans avant de pouvoir retourner dans mon pays. Mes parents voulaient que je reste en France pour continuer mes études et avoir un avenir sûr. Moi, j’étais tiraillée entre le fait d’être dans un pays en paix, mais qui n’était pas le mien et revenir auprès de mes proches pour les aider. J’ai décidé de rentrer. Il y avait des bombardements tous les jours. Le pays avait radicalement changé. Les valeurs n’étaient plus du tout celles de l’avant-révolution. Un jour, une fondation de cinéma pour la promotion de films iraniens a ouvert. Je m’y suis rendue pour être engagée en tant que traductrice de français. Je n’avais pas 20 ans, mais travailler là-bas me permettait de mettre un pied dans le cinéma. Au même moment, j’ai été acceptée à l’université de Téhéran. Durant six ans, j’ai travaillé et étudié en même temps. » 

Ni pute, ni soumise

Ce slogan emprunté au mouvement féministe français, fondé en 2003 par Fadela Amara illustre à merveille les propos de Katayoun : « En rentrant dans mon pays, je connaissais le changement de règles qui s’étaient opérées à la suite de la révolution. Rentrer signifiait les accepter et donc, porter le foulard. À Cannes, par exemple, les femmes doivent venir en robe de soirée et les hommes en smoking. Si vous décidez d’y aller, vous devez accepter ce code. Pour travailler en Iran, en tant que femme, vous êtes obligée de porter un foulard. Ne croyez pas que le fait de le porter signifie que je suis soumise à mon mari, c’est uniquement une règle que nous devons respecter. À côté des protocoles, les femmes doivent trouver un moyen d’être vues en tant qu’être humain et pas en tant qu’objet de soumission ou d’excitation, quelle que soit leur culture. Elles doivent se sentir en sécurité et respectées, quels que soit leurs choix. C’est à nous de montrer l’exemple en étant solidaires les unes avec les autres et en nous entraidant. » Ni la mère ni la grand-mère de la productrice ne portaient un foulard. Katayoun le porte, mais cela ne l’empêche pas de voyager énormément pour sa carrière. Pendant 10 ans, son mari a même cessé son activité pour éduquer leurs enfants afin que Katayoun puisse continuer son ascension.

Elle a toujours choisi la liberté à la sécurité : « J’ai dû démissionner de la fondation, car je n’avais pas assez d’espace pour m’exprimer. Pour mes collègues, j’étais une femme plus jeune qui n’avait pas d’expérience et avec une culture différente. Ils étaient très gentils, mais n’avaient pas les mêmes idéaux politiques et sociaux que moi. Rester, c’était choisir la sécurité. Je préférais la liberté. Peu de temps après, je me suis vue proposer un poste dans une section privée de la télévision iranienne. La société s’appelait “Sima Media International”. L’entreprise venait d’être créée. Tout devait être fait. J’étais employée, mais j’agissais comme une entrepreneure. J’ai expérimenté toutes les facettes du métier : la production, la distribution et l’international. C’était une expérience très enrichissante. Nous étions devenus connus à travers le monde. Après 9 ans, il y a eu un changement de direction. Les nouveaux directeurs n’avaient pas d’expérience, mais, ils étaient nommés et voyaient les choses différemment. J’ai compris que c’était le moment de devenir indépendante. J’ai donc créé la Shéhérazade Media International et j’ai reproduit tout ce que j’avais appris de mes expériences passées. Ma compagnie est devenue très connue, car je suis parvenue à faire connaître le cinéma indépendant iranien. En tant que productrice, je réalisais également un grand nombre de documentaires. Le problème, c’est que le rôle du documentariste est de parler des éléments qui ne vont pas bien dans le monde. En septembre 2011, j’ai donc été accusée d’avoir distribué à BBC des images visant à donner une image négative de l’Iran. Je suis restée 45 jours en prison. Mon père est décédé peu de temps avant mon arrestation. Je ne souhaite cette expérience à personne, mais, avec le recul, la prison était l’occasion de passer un moment seule avec moi-même. À la suite de cela, beaucoup de réalisateurs n’ont plus voulu travailler avec moi, par peur. J’ai vu le vrai visage des gens. J’ai toujours été quelqu’un qui rendait beaucoup service aux autres. J’ai compris que lorsque nous rendons service, nous devons donner entièrement, sans attendre un retour. Nous devons le faire pour nous et faire une sélection des personnes que nous aidons, car peu de personnes sont prêtes à rendre la faveur. Suite à mon arrestation, je n’avais plus de permis de travail. Je suis donc venue en France et j’ai créé “Noori Pictures”, en hommage à mon père qui se prénommait Noori. Avec cette compagnie, je peux travailler plus librement. Aujourd’hui, j’ai récupéré mon permis de travail en Iran et ma compagnie Shéhérazade continue de se développer. La liberté d’expression est notre bien le plus précieux, apprenons à l’utiliser avec efficacité. Cela signifie de ne pas chercher à brusquer des mentalités peu enclines au changement. N’oubliez pas, tout vient à point à qui sait attendre ! » Pour Katayoun, rien ne sert de tirer sur l’herbe pour la faire pousser plus vite, car nous risquons de la casser. A contrario, en faisant preuve de patience, nous sommes sûres de voir éclore une fleur un jour ou l’autre.

Mieux la connaître…

Son conseil aux femmes : Vous devez travailler plus, être plus forte, avoir confiance en vous et détruire votre peur. Vous pouvez faire tout ce que vous désirez ! Pour y arriver, soyez patiente, volontaire, courageuse, travaillez pour être dans les meilleures et vous rendre ainsi indispensable aux yeux des gens ! Si vous avez des enfants, vous ne devez pas avoir peur de continuer à mener à bien votre carrière. Ils vous en seront reconnaissants plus tard. Vous pouvez travailler tard tout en les accompagnant et en les aidant lorsqu’ils vous le demandent. Lorsqu’ils sont petits, ils se comparent à leurs amis. Lorsqu’ils sont grands, ils comprennent nos choix et nous remercient de leur avoir donné une éducation qui rime avec valeur, courage et ouverture sur le monde.

Ses super-pouvoirs :

  1. Le courage : Katayoun n’a jamais été effrayée par sa propre réussite. Elle n’a jamais hésité à prendre position pour défendre les valeurs qu’elle considérait comme essentielles. Bien évidemment, elle a commis des erreurs, mais sur le moment même, elle pensait prendre la bonne direction. Et c’est cela le principal.
  2. L’honnêteté — Pour elle, notre honnêteté envers les autres dépend de celle que nous avons envers nous-mêmes.

Sa citation préférée : « Si tu veux quelque chose, tu peux l’avoir ! »Katayoun considère ce proverbe perse comme étant le meilleur, car elle est elle-même convaincue que lorsque nous voulons vraiment quelque chose, l’Univers conspire pour que nous arrivions à nos fins.

Son plat préféré : Le Ghormeh sabzi. Ce plat iranien à base de riz, d’herbes et de morceaux de viande est particulièrement apprécié par Katayoun pour une raison : celui-ci lui rappelle la vie. Vous pouvez avoir tous les ingrédients nécessaires, si vous n’avez pas la patience d’attendre que ceux-ci mijotent longtemps pour ne faire plus qu’un, vous risquez de rater votre plat. Les yeux ne voient que le plat en lui-même. Or, ce sont les éléments ajoutés subtilement lors de la préparation, la patience et la pratique qui déterminent si celui-ci sera raté ou réussi.

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