Une expo pour changer le regard sur le cancer

Reading Time: 4 minutes

Dans la société de surperformance dans laquelle nous vivons, il est difficile de montrer nos failles, nos fêlures. La tâche est encore plus ardue pour les femmes atteintes d’un cancer qui, soumises au diktat de la santé et de la beauté, se sentent diminuées aux yeux des autres et ne supportent plus leur propre reflet dans le miroir. Par l’exposition Femmes fatales, 11 portraits de femmes ayant vécu un cancer du sein, Jurgen Rogiers veut nous amener à regarder l’être et non plus le paraître, à voir le courage, l’espoir, la beauté du vécu et surtout la vie, derrière les cicatrices.

Par Christiane Thiry – photo Jurgen Rogiers- en hommage à Anne Lenfant

femmes_fatales_credit_jurgen_rogiers_04-2La belle-mère de Jurgen et la maman d’Isabelle, Anne Lenfant, est décédée d’un cancer au mois de mars de l’année 2015. Un cancer fulgurant qui l’a emportée en 7 mois. Jurgen a été profondément touché par la honte qu’elle éprouvaitface à ce cancer. Elle sentait sa féminité ébranlée et sa place dans la société compromise, la fatigue provoquée par la chimio la rendant dépendante des autres. Dans ce monde où trône un positivisme exacerbé, le regard se voile face à tout ce qui dérange notre bien-être. La superficialité règne et laisse peu de place à une humanité tant espérée. Or le cancer touche les malades au plus profond d’eux-mêmes, dans leurs chairs et dans leurs âmes. Les dommages collatéraux sont dévastateurs, provoquant peur, honte, rejet, incompréhension, ou impuissance. Quand on est touché par la maladie, les yeux se détournent, pas seulement ceux des autres, mais également ceux de la personne malade. Il faut du temps pour accepter la transformation du corps, du visage, la perte des cheveux et vivre avec cette épée de Damoclès qui rôde au-dessus de la tête…

Avec ses 11 portraits de femmes, Jurgen Rogiers veut nous montrer l’autre côté du miroir. Il veut confronter la société à la réalité du cancer pour que les regards ne se détournent plus… et qu’au contraire, on ose regarder ces femmes droit dans les yeux en les trouvant magnifiques dans leur courage, dans leur combat pour la vie, dans leur espoir, dans ce qu’elles sont car Jurgen peut en témoigner, à leur contact, la vie semble encore plus belle. Une énergie les transperce, celle de la Vie !

« Je reste femme, même sans seins. Mes cicatrices sont belles, parce qu’elles disent que j’ai survécu… »

Texte écrit par Alex pour encourager les femmes atteintes d’un cancer à participer au projet :

 » Salut les filles, j’ai été mise en contact avec ‪Isabelle et Jurgen pour leur super projet. Comme ils recherchent à photographier des guerrières comme nous, je me suis dit que ce serait chouette de vous le proposer à vous. En effet, j’ai moi-même été suivie depuis le début de mon cancer par un photographe. J’avais tellement peur de tout ce qui allait arriver à mon corps, tellement peur de mourir que je me suis dit qu’il fallait laisser une trace de moi et de ce que j’allais subir.

life-magazine-jurgen_feminiteJ’avais toujours rêvé d’être photographiée par un pro, et là, je me suis dit c’est maintenant ou peut-être jamais… J’ai donc toutes les étapes de la maladie en image. J’ai voulu me mettre à nu, oser m’afficher telle que j’étais. Il m’a donc photographiée en buste, nue, visage inclus. Ce projet a été pour moi comme une thérapie par l’image. Je n’arrivais pas à me regarder dans le miroir, mais sur photo oui. J’ai donc pu appréhender différemment toutes ces transformations (perte de cheveux, perte des seins, prothèses, puis plus rien), et en faire quelque chose qui m’appartienne. Une manière de me réapproprier ce corps en constante métamorphose.

Je voulais vous le dire car ces photos m’ont fait un bien fou, même si ce n’est pas forcément facile de se voir telle qu’on est. Moi ça m’aide à m’accepter, et à m’aimer. À être fière de tout ce que j’ai réussi à traverser, de tout ce que mon corps a su endurer et d’en être sortie vivante. J’ai décidé d’exposer ces photos aux yeux de tous car je veux montrer ce par quoi on passe dans un cancer. Que tout n’est pas forcément rose justement, comme notre ruban, mais qu’on découvre aussi des forces en nous qu’on ignorait. On découvre la vie sous un autre angle, on est capable de sourire même quand notre corps et notre coeur sont en chantier… Moi qui ai décidé de me faire déconstruire et de vivre sans seins, je voulais aussi témoigner de ce choix, pour montrer à la société que je refuse ses diktats et que je suis libre. Que je reste femme, même sans seins.

Et que mes cicatrices sont belles, parce qu’elles disent que j’ai survécu… Si ça vous tente les filles, foncez! Il est temps que le monde nous voie, nous regarde! Je vous embrasse fort. »

Du 18 au 23 octobre au Mont des arts, 1000 Bruxelles.


Article paru dans Psychologies Magazine 


© Fiftyandme 2024