Marseille, un métissage en héritage

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Ville de contrastes, Marseille a, de tout temps, été un symbole de carrefour et de métissage. Ses habitants sont d’ascendance italienne, grecque, maltaise, indochinoise ou nord-africaine. C’est aujourd’hui un lieu qui connaît de grandes transformations, qui accueille des constructions signées par des archistars comme Hadid, Fuksas et Nouvel, mais aussi des restaurants ethniques, des librairies underground et bien plus encore.

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Marseille est l’archétype des villes portuaires, où le port s’est créé en fonction de la configuration des lieux. Et le rapport symbiotique entre la ville et le port, avec toutes ses connexions possibles, est à l’origine aussi bien de son charme culturel que de son commerce et de ses contaminations. La populaire Plage des Catalans, située en centre-ville, peut ainsi tout à la fois être le théâtre d’une bagarre, s’emplir de chansons gitanes ou vibrer aux nocturnes de Chopin.

Toutes ces histoires se rattachent à une tradition d’anticonformisme. Et il en va ainsi depuis la fondation de la cité phocéenne, il y a 2.600 ans, par des marins grecs qui s’intégrèrent rapidement dans la région. A l’époque, comme aujourd’hui encore, il importait peu de déterminer à quelle race appartenaient les uns et les autres. Tous étaient unis par le désir de prendre le large, par des intérêts commerciaux. Le concept de la mer comme lieu de commerce et non de conquête se révèle clairement dans le salon de la Bourse, décoré des armoiries des villes avec lesquelles Marseille était en relation d’affaires : de Trieste, porte de l’Europe Centrale pour le commerce du blé, à Calcutta, d’où arrivaient les huiles destinées à la fabrication du savon. « Ville de marins doublés de commerçants », commente Patrick Boulanger, directeur du département Patrimoine Culturel de la Chambre de Commerce.

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Nouveaux horizons

« La mer unit », affirment en chœur les Marseillais, vantant le métissage d’une ville dont un quart de la population est musulmane, où chacun fait état d’une ascendance qui italienne, qui grecque, ou encore maltaise, nord-africaine ou indochinoise.

« Nous sommes venus de tous les horizons », résume de superbe façon le jeune Nicolas, qui partage son temps entre la pêche et les sciences politiques.

« Ici, on vit dans une dimension culturelle influencée par la mer. Et la mer amène à scruter de nouveaux horizons », dit Richard Campana, renversant la perspective. Eclectique décorateur de théâtre, designer industriel et auteur de cahiers de voyages qui rappellent Hugo Pratt, Campana est un témoin de l’époque où Marseille pouvait être la scène des aventures de Corto Maltese. Observant le changement, il ne s’abandonne pas aux regrets : « Les aventures continuent, mais en prenant des directions différentes. »

La nouvelle route est clairement tracée dans le cadre du projet Euroméditerranée, la plus grande opération de rénovation urbaine d’Europe, visant à remodeler le front de mer et les zones situées en arrière de celui-ci. « La ville veut le port, mais pour le port, la ville est une limite. Euroméditerranée réconcilie les contraires », dit l’architecte Eric Castaldi, l’un des artisans de la transformation des entrepôts portuaires en un quartier commercial de haute technologie, et de celle du Silo, ancien dépôt de céréales devenu salle de spectacles.

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Archistars 

Dans cette synthèse, les quais sont dominés par une promenade qui, partant de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure du XIXᵉ siècle, conduit à la Cité de la Méditerranée, un complexe de centres culturels et de loisirs. A l’entrée du Vieux-Port, auquel il est relié par une passerelle suspendue, s’ouvre le MuCem, Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée. Imaginé par l’architecte Rudy Ricciotti, il s’agit d’une structure dentelée de 40.000 m³, définie comme une casbah verticale en raison des jeux de clair-obscur qu’elle crée en son intérieur. A côté du MuCem, dans un contraste qui reproduit le paysage hétérogène des ports, se dresse la Villa Méditerranée. Ce centre d’exposition conçu par Stefano Boeri a la forme d’un L renversé, posé sur le côté le plus court, alors que le plus long s’avance en porte-à-faux vers la mer, à la manière d’une jetée suspendue dans les airs.

Le panorama est dominé par les 147 mètres de la tour conçue par l’irako-britannique Zaha Hadid pour la CMA CGM. A proximité immédiate, le long du quai d’Arenc, Jean Nouvel réalisera une tour de bureaux de 135 mètres, flanquée de deux autres, de 113 et 99 mètres, qui accueilleront des résidences de luxe. Un autre pôle culturel, l’Euromed Center, a été conçu par Massimiliano Fuksas et devrait comprendre un multiplexe de loisirs imaginé par Luc Besson. Dans les bassins de la Joliette, anciennement dévolus au transit de marchandises et aux équipages, va s’ouvrir prochainement le FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain), œuvre de l’architecte japonais Kengo Kuma.

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Vendeurs de nostalgie

Les signes du changement se perçoivent également dans le Vieux-Port, encadré par les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas édifiés au XVIIᵉ siècle : le projet de Norman Foster et du paysagiste français Michel Desvigne le transforme en un vaste plan d’eau entouré d’une zone piétonne qui, tôt le matin, est encore occupée par les étals où l’on trouve les petits poissons qui donnent son goût à la bouillabaisse.

En écho à cette ouverture sur la mer, l’intérieur se modifie lui aussi. Les rues équivoques proches de la Canebière sont illuminées par les vitrines des stylistes et des parfumeurs. Dans le quartier populaire du Panier s’ouvrent des galeries d’art contemporain, des ateliers de créateurs et des boutiques qui vendent de la nostalgie : savons à l’huile, chocolat, sardines en saumure, bouteilles de bière Cagole avec leur nouvelle étiquette déco. Quant au secteur Notre Dame du Mont – Cours Julien, nouveau quartier à la mode, à mi-chemin entre le Marais et Greenwich Village, il propose restaurants ethniques, librairies underground et hôtels design comme le Mama Shelter de Philippe Starck.

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En fin de compte, plus que de la French Connection, Marseille est donc bel et bien le centre d’une connexion globale, modèle d’une ville portuaire qui essaie de se réinventer.
www.marseille-tourisme.com

La mer à table

Symbole de Marseille, la « bouillabaisse » (terme forgé à partir de mots provençaux signifiant « bouillir » et « abaisser » en parlant de la température) était à l’origine la soupe des pêcheurs, composée de poissons de second choix ou d’invendus. La recette de base comprend quatre types de poissons : rascasse, rouget, congre et grondin. Il est d’usage d’y ajouter dorade, turbot, merlan, coquillages et crustacés, et dans les versions plus élaborées, poulpe et langouste. Autres ingrédients : sel, poivre, safran, huile d’olive, ail, oignon, fenouil, persil, pommes de terre, tomates. Pour le fond : petits poissons de récif. La bouillabaisse est accompagnée de rouille, d’aïoli (sorte de mayonnaise à base d’ail) auxquels se joignent le safran et les poivrons. Elle est généralement servie dans deux plats différents : le poisson d’un côté, le bouillon sur un réchaud. Les deux peuvent être mélangés dans une assiette creuse ou servis à part. Une règle fondamentale est le découpage du poisson devant les convives. Vin conseillé, un Côtes de Provence rosé.


Journaliste : Massimo Morello
Parution : Gentleman n°3 – Printemps / Eté 2014
Article paru sur le site web www.gentleman.be


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