À 50 ans, la vie change de rythme. Les enfants quittent la maison, les parents vieillissent, la carrière se transforme. Le corps évolue, le miroir aussi. Beaucoup de femmes traversent ce passage avec appréhension, d’autres y voient l’opportunité d’une renaissance. Isabelle Bary, elle, en a fait un roman et une philosophie.
Quels sont, selon vous, les grands défis – mais aussi les grandes richesses – de cette étape de vie ?
La cinquantaine, c’est un peu la nouvelle quarantaine… avec la ménopause en plus ! (sourire). Certaines femmes le vivent très bien, mais beaucoup me disent : « Je ne m’attendais pas à ça. » Parce qu’on n’y est pas préparées. Les bouffées de chaleur, la mélancolie, la fatigue, les changements physiques… tout cela arrive sans prévenir.
Et puis, il y a le poids de la société. Les crèmes ne s’appellent plus « de beauté » mais « anti-âge », comme si vieillir était une faute. Un jour, chez le pharmacien, on vous tend une crème anti-rides plutôt qu’un simple soin hydratant et soudain, on réalise : « Ah… quelque chose a changé. » Tout est fait pour nous rappeler qu’on vieillit. C’est insidieux, presque pervers.
Mais je crois profondément que la cinquantaine peut être un âge merveilleux. C’est le moment où l’on fait le tri, où l’on ose dire non, où l’on choisit mieux ses relations. On se dit qu’on n’a plus de temps à perdre. Et cette urgence devient une liberté incroyable. C’est pour cela que je parle de “second printemps” : on refleurit, mais autrement.
On parle souvent de la cinquantaine comme d’une crise. Vous la décrivez plutôt comme une métamorphose. Comment l’avez-vous vécue personnellement ?
Dans ma tête, j’ai toujours trente ans ! (rires). Mais la métamorphose hormonale a été brutale. J’ai traversé des douleurs, des coups de blues, des bouffées de chaleur. Et tout s’est enchaîné en même temps : le corps qui change, les enfants qui s’envolent, les parents qui s’affaiblissent peu à peu. C’est comme si toutes les vagues arrivaient ensemble.
Mais j’ai compris qu’il fallait passer ce cap avec douceur. Je me suis dit : “Qu’est-ce qui a encore du sens pour moi ?” Et j’ai choisi de me concentrer uniquement sur cela. À 50 ans, on n’a plus envie de gaspiller son énergie. On coupe ce qui est inutile, on nourrit ce qui nous fait vibrer. Cette prise de conscience m’a donné une immense liberté… et une joie nouvelle.
Votre parcours illustre bien l’idée qu’on peut bifurquer à tout moment. Vous n’êtes pas devenue écrivaine du jour au lendemain…
J’ai grandi avec des parents très jeunes, qui travaillaient beaucoup tout en reprenant leurs études du soir. Ils m’ont toujours répété : « Fais des études, c’est encore plus compliqué pour une femme. »
Moi, j’étais une vraie littéraire. J’aurais voulu faire psycho ou langues romanes. Mais j’ai suivi leur conseil : j’ai choisi la voie la plus large, ingénieur commercial à Solvay. J’ai dû travailler comme une acharnée – les maths et la physique, ce n’était pas mon fort – mais j’ai appris une chose : avec de la volonté, tout est possible.
Ensuite, j’ai travaillé en agence de pub, puis cofondé une société d’événementiel. Extérieurement, tout allait bien, mais au fond, je n’étais pas à ma place. Ce que j’aimais vraiment, c’était écrire.
Le déclic est venu avec ma première grossesse. J’ai fermé ma société, repris mes carnets de voyage – j’avais fait un tour du monde en sac à dos avec mon compagnon – et je les ai réécrits des années plus tard en comblant certains passages dont je n’avais plus de souvenirs. Pour l’anecdote : mon mari s’est demandé si on avait fait le même voyage (sourire) ! C’est devenu mon premier roman, publié par une petite maison française. J’ai découvert le pouvoir de la fiction : on ne parle pas de soi, mais on touche à l’universel.
À partir de là, tout a changé. J’ai enchaîné les livres, j’ai commencé à animer des ateliers d’écriture, d’abord comme bénévole auprès de femmes atteintes de cancer. Et j’ai compris que l’écriture n’était pas seulement une passion, mais une façon de vivre.
L’écriture est-elle aussi un outil de résilience face aux bouleversements de l’âge ?
Écrire, c’est entrer dans la peau d’un autre. Pour donner vie à un personnage, on doit lui donner des blessures, des épreuves. Cela ouvre une empathie immense et ça aide à traverser ses propres tempêtes.
Et puis, écrire ou faire écrire, c’est une libération. Dans mes ateliers, il y a toujours deux choses : du chocolat et des mouchoirs. Le chocolat, pour le réconfort. Les mouchoirs, parce qu’il y a toujours un moment où l’émotion déborde. Écrire permet de poser ce qui pèse et de le transformer en quelque chose de vivant.
Il y a l’“écriture vomitive”, comme je l’appelle : écrire pour se vider, parfois pour brûler ensuite ces pages, mais avoir laissé sortir. Et puis il y a l’écriture créative, qui élève. Les participants repartent légers, étonnés d’eux-mêmes. Je crois que c’est ça la magie : se découvrir plus fort qu’on ne pensait.
Que viennent chercher les femmes dans vos ateliers ?
On ne vient jamais par hasard. Certaines veulent écrire un livre. D’autres se disent : “Ça va me faire du bien.” Mais derrière, il y a toujours une quête intime. Un atelier, c’est une bulle, un rendez-vous officiel avec soi-même. Et ça change tout. Beaucoup de participantes me disent : “C’est mon moment à moi, ma respiration.”
Au début, certaines n’osent pas lire leurs textes. Et puis, au fil des mois, elles se lancent, elles se découvrent, elles s’applaudissent entre elles. C’est bouleversant de les voir grandir à travers leurs mots. J’ai vu des femmes retrouver confiance, reprendre des projets, même transformer leur vie après un atelier. L’écriture leur redonne une voix, et parfois même des ailes.
Votre nouveau roman, Le Second printemps, raconte justement cette renaissance. Qui est votre héroïne ?
Adèle a tout en apparence : un mari, des enfants, un métier qu’elle aime. Mais un jour, tout s’effondre. Ses enfants quittent le nid, sa mère décline, elle perd son emploi. Elle a le sentiment de devenir invisible. Alors, sur un coup de tête, elle prend seule un avion – un geste anodin, mais fondateur. C’est le début d’un voyage initiatique sur les chemins de Compostelle.
Pourquoi Compostelle ?
Parce qu’on ne part jamais sur ce chemin par hasard. On y marche à son rythme, on croise des inconnus avec lesquels on partage des instants d’une intensité rare, puis chacun reprend sa route. C’est exactement ce passage de la cinquantaine : avancer à son rythme, respirer, se délester. C’est une métaphore magnifique de la vie.
Dans son voyage, Adèle va rencontrer d’autres chercheurs de sens… Une féministe de 80 ans qui cache un secret, une jeune femme en quête d’identité, un homme qui marche pour apprivoiser un deuil, un autre qui cherche la paix avec son passé. Chacun porte ses blessures, mais ensemble, ils forment une sorte de chœur discret qui accompagne Adèle vers elle-même.
Ce que j’ai voulu montrer, c’est qu’à 50 ans, on peut avoir l’impression de s’effacer… mais qu’il suffit parfois d’un petit geste, un élan, pour rouvrir toutes les portes. Le second printemps, c’est ça : une nouvelle floraison, inattendue, mais splendide.
Si vous deviez souffler un mot à l’oreille d’une femme qui, à 50 ans, se sent perdue, que lui diriez-vous ?
Qu’il n’est jamais trop tard. On n’est pas obligée de tout plaquer pour se réinventer. On peut commencer par de petits pas, se donner du temps, s’autoriser un espace rien qu’à soi. À 50 ans, on a l’expérience, la maturité, et plus que jamais le droit de choisir ce qui nous fait du bien.

Le Second printemps, Isabelle Bary, 180° éditions, 358 pages, 20 €

