Valparaiso, la San Francisco latine

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Et si l’on filait loin ? Au Chili ? Chiche. Voyage au long cours sur cette étroite frange du continent sud-américain, flanquée du Pacifique et de la Cordillère des Andes. De Valparaiso, perle océanique, à la Patagonie sauvage, ce fut une éblouissante aventure australe.

Par Pierre Wiame 

A une heure trente de route de Santiago, Valparaiso, « Valpo » pour les intimes, éblouit dans la minute où vous y descendez. Cette première ville portuaire du Chili, qui chevauche avec énergie quarante-quatre collines, semble hissée dans le ciel, comme un long drapeau de prières tibétain. Les rues y cascadent. Des petites maisons de tôle, semées sur des gradins naturels, flambent au soleil. Avec le Pacifique en fond, chahuteur, le coup de coeur est total. Une minute pour vous éblouir et moins d’une heure pour vous dire qu’elle balance de bas en haut. En bas, bus, taxis et trolleybus la fracassent de part en part, sur des boulevards gris de fumée, tumultueux même, par la foule badine et bavarde qui s’accroche à tous les modestes étalages surabondant de fruits et légumes volumineux.

La ville d’en haut, radieuse, rompt ce chaos. Sur ces cimes urbaines, les bougainvillées fuchsia débordent des jardins clos et se baignent dans un grand calme multicolore. Les taxis collectifs crapahutent, les touristes s’usent les jambes en soufflant. Nous sommes en décembre, en plein été austral. Les jours radieux de l’hémisphère sud. Les plus obscurs dans l’hémisphère nord. Parcourir ces routes ensoleillées à trois semaines de Noël a quelque chose d’étrange et de magique.

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Je pars à l’assaut de ces quartiers suspendus par le plus emblématique, le cerro (colline) Concepcion, repérable à sa typique église Santa Cruz, au toit de zinc vert, et à un hôtel bardé de jaune haut-perché, le Brighton, dont les balcons blancs donnent sur le port, ses cargos et ses empilements de containers en transit. Ici, la ville fait cadeau de panoramas remplis de la baie bien cambrée de l’océan, qui enlace amoureusement cette « perle du Pacifique ». Ici, des petits cafés au charme vieillot proposent à la dégustation des morceaux de tarte au citron et de bonnes mousses locale. Le cerro Concepcion aligne des façades bariolées de « street art », déroule des rues cabossées aux pavés de travers, où trainent des chiens errants. Et des ruelles tordues avec des volées d’escaliers épuisantes. Ces venelles labyrinthiques sont autant de torrents de couleurs qui dégringolent vers le rivage, emportant avec eux la clameur pétillante d’une cité du sud soufflée par les vents du large.

Des « ascensores »

life-magazine-chiliBohémienne, incitant les fous à cracher leur intime créativité sur ses murs, « Valpo » flamboie et sidère par ses fresques monumentales caracolant en tête des curiosités de plein air à y voir. Depuis 2003, son centre historique est d’ailleurs classé au patrimoine culturel de l’Humanité. Il doit un peu de son succès à ces peintres instinctifs qui ont osé voir et peindre en grand la barbouille acidulée. Si le San Francisco californien a ses « cable cars », ce petit San Francisco chilien a ses funiculaires, « ascensores » en espagnol, qui connectent les avenues planes et polluées aux sommets bleus des cerros. Ces dix-sept ascenseurs mettent de pittoresques mouvements dans Valparaiso. Le plus ancien, installé en 1883, dessert le touristique cerro Concepcion. Son voisin, le cerro Alegre, dispose aussi d’un ascenseur depuis 1903, dédié à la Reina Victoria. Ces funiculaires rudimentaires en tôles, lambrissés de vieux bois vernis, tous un peu branlants, grincent de partout. Leur mécanique archaïque, leurs stations de départ et d’arrivée, avec leurs tourniquets à pédale et leurs poinçonneuses de billet, en font des monuments historiques à préserver à tout prix.

Valparaiso ne sera qu’une des étapes de ma lointaine pérégrination. Mais un vrai coup de coeur. J’ai quitté cette belle insouciante pour rejoindre Punta Arenas, une ville d’aventuriers, à trois mille kilomètres plus au sud. On a perdu treize degrés en chemin pour commencer, juste là, un autre et incroyable voyage en Patagonie.

Rompons la glace Ushuaia.

La ville argentine du bout du monde, aux portes de l’Antarctique et de la Patagonie, à 14 heures de bus de Punta Arenas. Embarquement à bord du Stella Australis pour une croisière totalement exclusive de quatre jours en « Terre de feu ». Récit. Sous un vent déjà transperçant, le Stella Australis lève l’ancre, laisse derrière lui le phare mythique d’Ushuaia et s’enfonce dans ce grand vide inquiétant par le canal de Beagle, là où le Chili se fragmente en une multitude de fjords et d’îlots. La croisière est intimiste. Pas plus de 200 passagers à bord. Et le navire à cinq ponts tient de la moelleuse boutique. Bar ouvert et Pisco de bienvenue.

40es rugissants et 50es hurlants

life-magazine-chiliC’est une frontière dangereuse entre deux mondes. Le feu et la glace. Jadis très redoutée. Découvert il y a 400 ans, le cap Horn, où l’Atlantique et le Pacifique convolent en noces furieuses, a englouti au moins dix mille capitaines avec leur vaisseau. Les navires modernes le franchissent sans difficulté mais il demeure un cap cinglé de terribles tempêtes australes, où des vents glacés rugissent aussi fort qu’au sommet de l’Everest et où les eaux hurlent à mort. La croisière Australis annonce toujours un débarquement sur le mythique Cap Horn mais, entre ces quarantièmes rugissants et ces cinquantièmes hurlants, les éléments dictent leur loi. Ce matin-là du premier décembre, on a perdu le Cap Horn, à cause d’un gros coup de tabac qui a figé le bar du Stella Australis, fait balloter ses coursives et danser le diner, et envoyé au lit des passagers frappés de nausées. On était prévenus : 50 % de chance seulement d’y découvrir son phare, sa chapelle, son monument dédié à tous les marins qui y lâchèrent la barre. Quelques heures plus tard, tout se calma, la mer devint d’huile, l’atmosphère sereine. Nous étions dans l’autre monde, tout au bout, dans l’extrême sud, là où l’on peut ressentir les quatre saisons en une journée. Où l’on rencontre des dauphins, des baleines, des condors, des manchots, des cormorans et des lions de mer. Et on n’en revenait toujours pas d’être là, au bout du monde.


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