Dans le secret des familles

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Toutes les familles ont des secrets… Mais ce qui est interpellant avec certains secrets, c’est qu’ils sont porteurs de mal-être au long cours, avec des effets inconscients sur le psychisme à travers plusieurs générations…

Par Martine Dory

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Pourquoi cacher la vérité ? « Les secrets, constate le psychanalyste Serge Tisseron (1), s’organisent le plus souvent autour de la naissance, de l’exclusion sociale ou de la mort. De nombreux secrets tournent autour d’enfants naturels, adultérins ou adoptés, d’avortements, de divorces, de décès, de maladies, de toxicomanies… ». Et il ajoute : « Lorsqu’il existe un secret, l’enfant le pressent à de multiples occasions. Parce que le secret ne se communique pas seulement avec des mots… »

C’est précisément le cas de Brigitte (45 ans). Dès avant sa naissance – et pour cause ! – elle a été au cœur d’un secret de famille qui continue à influencer ses choix de vie. Une situation qu’elle transforme à la manière d’Alexandre Jollien : « Vivre mieux ? Non, vivre meilleur… »
Suite à la mort précoce de ses parents, elle entreprend un long chemin thérapeutique où elle peut enfin déposer ce qu’elle a perçu inconsciemment depuis longtemps : « Si ça tombe, mon père n’est pas mon père ! »
Le début d’une longue « itin-errance » dans les méandres d’une quête de (re)connaissance, de son père biologique, et par là même, de connexion à son identité liée à son origine. Essentielle, pour le psychanalyste (1) qui insiste sur l’importance pour chacun de savoir d’où il vient. Comment ? En interrogeant les parents et, s’ils ne sont plus là, l’entourage proche. Brigitte a donc questionné sa tante, confidente de sa maman, qui très vite, face à la détermination de sa nièce, divulgue le secret… « Ce secret qui a conditionné toute ma vie » ! Elle apprend donc que son père biologique était un ami de la famille qui se serait rapproché de sa maman, quelque peu délaissée affectivement par son mari. Une histoire d’amour qui s’est arrêtée brusquement à l’annonce de la grossesse. Le « père-amant » aurait été mis dehors manu militari par l’oncle de Brigitte… Qu’a donc ressenti ce bébé, déjà dans le ventre de sa mère ? Et comment a-t-elle été accueillie par le mari de sa maman ? « C’est lui mon père, c’est lui qui m’a élevée et éduquée. Il m’a transmis l’amour des livres… Merci pour tout ça. Il aurait même posé un acte symbolique de reconnaissance (je l’ai su plus tard) en changeant, lors de la déclaration de naissance à la commune, le prénom que Maman m’avait choisi. Par contre, j’ai souvent été témoin de scènes de violence sur ma mère, lorsqu’il avait trop bu. Une vengeance ? Peut-être… En tout cas, une culpabilité souterraine pour moi. »

A-t-elle rencontré son père biologique ? « Jamais. Ce n’est pas faute de l’avoir cherché. Mais peut-être est-ce mieux ainsi… »
Brigitte évoque encore combien elle a été habitée par ce secret auprès d’une maman adorée qu’elle sentait enfermée, au propre comme au figuré. « Elle ne pouvait plus travailler et était donc dépendante de mon père. Et puis, cet enfermement dans la honte qui ressurgissait à chaque coup de gueule de mon père ! » Et d’ajouter : « Je me suis toujours sentie comme une chaise à trois pattes. Avec l’intuition qu’il y avait quelque chose qui n’était pas juste. Je faisais d’ailleurs très souvent le même rêve où à mon réveil, mes parents ne me reconnaissaient pas… Tout au long de ma vie, où que je sois, j’ai vécu un pied dedans, un pied dehors. Écartelée entre une double identité dans la fondation de mon être, je me suis construite ‘insaisissable’, sans cesse entre deux lieux de vie ; idem pour ma vie professionnelle… Quant à mes relations amoureuses, j’ai toujours quitté mon compagnon la première, même si la relation était bonne, de peur de revivre les blessures de l’abandon et de la trahison. Mon défi actuel est d’aller vers ce qui est bon pour moi sur le plan relationnel, même s’il me reste du chemin à parcourir pour y arriver.
Ce qui m’interpelle aussi, c’est la dette de ma mère que j’ai endossée, une dette liée à la honte, à la dépendance à l’homme… comme si je me sentais redevable à la société. Tel un poison qui se distille à travers les générations. D’ailleurs, je n’ai pas d’enfant. Non par choix mais c’est mon corps qui refuse. Le secret a indéniablement laissé des traces dans ma mémoire cellulaire… »

Un merveilleux malheur (2) ? « Je n’irais pas jusque-là, mais il est évident que ce secret m’a sculptée de l’intérieur. Et que je ne serais pas la Brigitte que je suis, avec mes ombres mais aussi mes lumières… Les diverses démarches thérapeutiques m’ont permis d’accéder à des parts de moi que je n’aurais peut-être jamais explorées. Je suis néanmoins consciente que certains de mes choix restent liés à ce secret… et ça, ça me dépasse ! »


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