l'antichambre

L’Antichambre, une histoire de parfum

La fragrance poudrée nichée dans le cou de notre mère, la brise de l’océan lors des vacances de notre enfance, les tonalités feutrées d’un sous-bois… Passionnée de senteurs, Anne Pascale Mathy-Devalck sculpte des jus à la mesure de nos souvenirs olfactifs fondateurs.

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C’était il y a une quinzaine d’années. Graphiste et photographe, Anne Pascale Mathy-Devalck déjeunait avec une amie qui lui confiait sa trouvaille : un carnet de parfumeur de 1905… « J’ai toujours adoré les parfums depuis que je suis toute petite. Cela m’a reconnectée à ma passion et cela m’a donné envie de refaire les recettes trouvées avec des nez. » Mais le temps avait fait son oeuvre en rendant nombre de matières introuvables à cause du changement de règlementation concernant les ingrédients d’origine animale ou allergènes. « Ce n’était plus possible de recomposer ces fragrances surgies du passé mais cela a fait germer en moi l’idée d’un concept d’essences sur mesure plus accessibles et démocratiques que ce qui est proposé dans de grandes maisons à Paris, avec un parfumeur. L’Antichambre1 est née en 2009, après que je me sois formée un an à Solvay en business et que je mette tout en place à Grasse, avec des professionnels du parfum qui évoluent dans des petites structures. »

Parallèlement à l’industrialisation mondiale grandissante de la parfumerie, des senteurs ‘de niche’ se multiplient depuis plusieurs décennies, avec du parti-pris et non l’intention de séduire le plus grand nombre. La personnalisation procède du même élan de chercher à composer des fragrances qui prolongent notre ressenti du moment, nous font revivre les expériences positives de notre passé qui nous marquent inconsciemment d’autant plus fort qu’elles sont anciennes.

Parce qu’il touche notre cerveau limbique, centre des émotions, sans passer par la rationalisation, le parfum nous bouleverse beaucoup plus profondément qu’une photo jaunie retrouvée au fond d’un tiroir. Ainsi la lavande de l’eau de toilette paternelle, le cèdre d’un vieux placard où notre mère rangeait son manteau, les effluves de tarte aux pommes chez notre grand-mère… peuvent nous procurer un réconfort intense. D’où l’intérêt de composer sa propre essence, ton sur ton avec son histoire émotionnelle et olfactive. « Quand une personne vient chez moi, je lui demande si elle souhaite associer une intention particulière au jus que nous allons composer ensemble. En fonction du moment, on peut avoir besoin d’ancrage, d’amour, d’amitié, de bonheur, de lumière, de bien-être… Avoir une intention n’est pas obligatoire, on peut aussi chercher une fragrance qui serait le prolongement de son identité. » Et qui intègrerait ses souvenirs parfumés.

L’Antichambre, des ingrédients premium

Anne Pascale Mathy-Devalck a élaboré entre trente et quarante bases de parfums avec des nez, des fabricants et des importateurs de matières premières à Grasse. « Ces ‘bases’, nous les avons construites autour d’un ingrédient : vétiver, cuir, jasmin, iris, patchouli, ambre, musc, vanille, rose, santal, cèdre, mûre, bergamote… Je suis intransigeante sur l’origine des matières : nous n’utilisons pas du santal d’Inde par exemple, parce que cette culture y entraîne de la déforestation, nous préférons le santal australien qui est exploité dans le cadre d’un projet durable avec des arbres qui sont replantés.

On a choisi le naturel chaque fois qu’on pouvait parce qu’il rentre plus en alchimie avec la peau, ses notes s’affirment les unes après les autres, il permet plus de relief, de texture. Mais on ne s’est pas privés des molécules de synthèse pour autant, parce qu’elles permettent d’obtenir des résultats incomparables. Ces bases sont des fragrances à part entière, donc on peut les porter seules si on le souhaite, mais on a également fait en sorte de pouvoir les mélanger entre elles, ce qui est assez technique. On peut parfaitement superposer soi-même différentes bases que l’on achète dans des tubes ou créer son propre jus pas à pas, en une heure, avec moi. »

Se laisser mener par le bout du nez

Il n’est pas nécessairement besoin de beaucoup se raconter pour cette plongée dans ses émotions et sa mémoire, il suffit de se fier à son nez et sa peau. « On sent ensemble les matières pour que la personne identifie ce qu’elle aime. Sans mentaliser. Il suffit de se laisser aller et d’accueillir ses sensations sans réfléchir aux a priori qu’on peut avoir sur tel ou tel ingrédient. Beaucoup de gens s’imaginent par exemple qu’ils n’aiment pas la rose parce que dans notre enfance, la rose était dans tous les déodorants ou dans des parfums ménagers dénaturés. Alors qu’une rose dans les règles de l’art est magique. Certains hommes l’utilisent avec du poivre et du cuir. Quand le ou la client.e a fait son choix, on mélange plusieurs matières. Mon expérience m’aide pour proposer des assemblages, ajuster les proportions. L’instant de vérité ? Lorsque la personne essaye l’essence sur la peau… On sait alors si le but est atteint.

Il faut tenir compte du fait que les notes de tête ne restent qu’une quinzaine de minutes avant de laisser place au coeur et au fond de la fragrance. On attire autant les femmes que les hommes, de tous les âges, des adolescents aux personnes âgées qui ne retrouvent plus leur ancien parfum et souhaitent en recomposer un pour ressentir les émotions liées à des anciens ingrédients. Ce qui me met au défi, me fait chercher et redécouvrir des notes obsolètes. Beaucoup de gens offrent aussi le flacon vide, le nomment éventuellement et celui ou celle qui le reçoit vient le remplir. »

En parallèle à cette démarche de personnalisation, L’Antichambre propose sa propre collection d’Exclusifs, fragrances de niche pleines de caractère, aux noms qui ressemblent à des titres de romans (le Voyageur indiscret, Le Sourire du Diable, La Lettre volée, La passion liquide, etc.) et dont certaines sont anti-allergiques. Anne Pascale Mathy-Devalck parfume également des hôtels (L’Amigo à Bruxelles notamment) sur mesure ou non et des événements comme la récente exposition ‘Intimate Audrey’. « Le fils d’Audrey Hepburn est venu me voir et nous avons choisi deux senteurs différentes. » Preuve s’il en est que ce concept d’identité olfactive sur mesure flotte plus que jamais dans l’air du temps.

L’Antichambre : 13, place George Brugmann – 1050 Bruxelles. www.l-antichambre.com

Tél. : 02 343 55 13. Prix de la personnalisation : 175€ les 50 ml de parfum ou 205€ les 100 ml. Et la boîte de trois tubes de ‘bases’ d’eau de parfum à vaporiser et mélanger à sa guise coûte 65€.

 


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