chagrins d'amour

Comment dépasser les chagrins d’amour ?

La résilience est la capacité à dépasser un traumatisme. Docteur en psychologie et professeur à l’ULB, Christophe Leys y consacre un ouvrage et nous explique quelles voies emprunter pour dépasser les chagrins d’amour. Interview.

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Des séparations à répétition et de la souffrance, beaucoup de souffrance, accompagnée désormais de noirceur : vous avez plus de 50 ans et l’impression que votre vie amoureuse se résume à une suite d’échecs. Comment dépasser ces chagrins d’amour, ces émotions négatives et ce pessimisme qui vous habitent complètement et vous minent ? Comment sortir de ce tunnel?

On pose la question à Christophe Leys qui signe aujourd’hui avec le psychiatre Pierre Fossion l’ouvrage très documenté Science de la résilience (chez Odile Jacob). Le docteur en psychologie, biologiste, psychothérapeute et professeur à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation de l‘ULB nous y explique les différents facteurs (individuels, biologiques, génétiques, épigénétiques, émotionnels, sociaux, comportementaux,…) qui portent cette capacité à dépasser un traumatisme qu’est la résilience. Mais au-delà des analyses scientifiques, il nous donne également des clés pour nous relever après les lourdes épreuves de la vie. De quoi sans doute nous aider à dépasser un éventuel sentiment de néant amoureux que l’on peut ressentir même si sans doute celui-ci ne peut être comparable à un profond trauma.

Chagrins d’amour : développer sa résilience

Est-ce que la résilience est un trait de caractère ou une aptitude qui se développe (ou se dégrade) ?

Dans le livre, je donne plusieurs arguments allant dans les deux sens (celui d’un trait de personnalité, ou au contraire d’une aptitude). Mais il ne faut pas oublier que ce qu’on appelle “résilience” est un concept complexe qui pourrait regrouper de nombreux processus psychologiques différents. Je rapprocherais un peu la réponse de celle qu’on pourrait faire pour l’intelligence : les gens partent avec une base (qu’on peut imaginer génétique) et soit on entraîne ce patrimoine, soit il se dégrade (en cas par exemple de traumatismes multiples). Donc une partie serait probablement innée, et une autre acquise. En tout cas, il est certain, et heureusement pour les thérapeutes et les patients, que la résilience peut se développer.

Vous expliquez que la clef de la résilience ou du sentiment d’aller bien ne réside pas dans le fait de ne vivre que des émotions positives et de supprimer les négatives…

Le bonheur n’est pas ce qui reste quand on a évité le malheur, ça j’en suis convaincu. C’est quelque chose vers lequel on va, qui se construit. Paul-Loup Sulitzer disait dans ses livres “tous ceux qui sont devenus très riches avaient cet ardent désir de le devenir, ce n’est jamais par hasard”. Je pense que pour le bonheur c’est pareil, sauf pour quelques chanceux. Si je devais donner un conseil à une femme de 50 ans, ce serait le positionnement. Qu’est ce qu’elle veut ? Qu’est-ce qui a du sens pour elle par rapport à qui elle est ou veut être, par rapport à ses valeurs ? Le sentiment amoureux s’insère dans d’autres considérations : la vie de famille, les enfants, la famille élargie, le cercle d’amis, la sécurité financière, le lieu de vie, le style de vie, etc. Lorsque tout n’est plus compatible, quelles sont les priorités ? Que veut-elle montrer comme modèle à ses enfants aussi ? La réponse à toutes ces questions peut varier en fonction de l’âge de la personne, l’âge des enfants, et toute une série de paramètres. Mais c’est un positionnement qui ne peut être atteint que par rapport à soi-même.

Une thérapie n’est pas la panacée

Peut-on travailler cela seule ? Ou faut-il aller voir un thérapeute ?

Je ne pense vraiment pas qu’un thérapeute soit la panacée pour tout le monde. On aide, c’est sûr, mais il y a beaucoup d’autres ressources qui peuvent aider tout aussi efficacement : des amis, la famille, un prêtre, un sorcier (pourquoi pas s’il est bienveillant et non jugeant)… Ce qui fait l’efficacité de la thérapie, selon moi, c’est la relation avec le patient, beaucoup plus que les connaissances théoriques ou les outils et autres exercices. Donc tout qui sait faire une relation de confiance, soutenante, non jugeante avec une personne en détresse peut l’aider efficacement. L’avantage du thérapeute, c’est que vous le rémunérez pour qu’il ne s’occupe que de vous. Vous ne devez pas lui demander si vous pouvez faire quelque chose pour lui en retour, vous pouvez cesser de le voir s’il ne vous convient pas, vous avez un horaire, la confidentialité est garantie, etc., c’est un cadre qui évite beaucoup de pièges, mais in fine c’est la qualité de la relation qui compte.

Comment donner un sens aux ruptures amoureuses ?

Une relation amoureuse est souvent transactionnelle, comme toute relation. Un couple peut être très efficace dans une situation et puis vivre très mal une transition. Par exemple, beaucoup vivent mal le passage de la vie étudiante à la vie professionnelle, ou la vie de couple à la vie de famille, ou, plus tard, la vie de famille à l’étape d’après, lorsque les enfants sont grands et autonomes et que le couple et la vie amoureuse peut reprendre plus de place. Chaque transition implique que le couple doit avoir les compétences pour s’adapter aux changements. Parfois certaines compétences manquent. Soit on les acquiert, soit ça peut ne plus fonctionner. Ceci dit, on peut aussi voir une relation amoureuse comme une relation qui peut avoir un début, un milieu et une fin sans que ce ne soit dramatique. Une rupture amoureuse peut être douloureuse, et puis on peut s’en remettre et continuer sa vie. Je crois que ce qu’il ne faut pas perdre, c’est la capacité de faire confiance aux gens et de se laisser aller à aimer. En fait je dis “faire confiance aux gens” mais si on creuse un peu, ça finit toujours par vouloir dire “se faire confiance à soi-même”.

Vous expliquez que l’accumulation de traumatismes réduit les capacités de résilience. Peut-on transposer cela à la succession des chagrins d’amour ?

Techniquement une rupture amoureuse n’est pas un traumatisme. Mais si vous avez lu le livre, vous saurez qu’on s’en fiche à peu près, elles fonctionnent très bien quand même pour vous mettre par terre. Mais on est équipé pour les deuils en principe. Si on n’y parvient pas, le problème est souvent ailleurs que dans la rupture amoureuse en elle-même. Les patients qui connaissent de nombreux chagrins d’amour regrettent rarement les nombreuses personnes, elles se posent plutôt des questions angoissantes sur elles-mêmes. Et donc oui, il peut y avoir une sensibilisation. Par exemple, une des dimensions de certains modèles de la résilience est la perception de soi. Si cette perception est dégradée par les échecs successifs, ça peut théoriquement endommager les aptitudes de résilience.

Vous nous parlez de l’humour ! Quand il est bienveillant envers soi-même, il participe à la résilience !

Oui c’est assez clair que les gens qui sont capables d’utiliser l’humour comme moyen de mise à distance du sentiment d’impuissance et comme outil d’acceptation peuvent vraiment s’en aider.

Vous pratiquez l’ACT (Thérapie du choix et de l’acceptation) en consultation. Comment celle-ci peut-elle aider une femme de 50 ans célibataire qui se sent écrasée par des chagrins d’amour à répétition ?

Très clairement en lien avec le positionnement que je décrivais ci-dessus. Identifier ses propres valeurs (donc qui on veut être, comment on peut être décrit, quelles sont les valeurs qui nous constituent), identifier le trajet de vie qui correspond à nos valeurs, identifier les émotions qui nous empêchent de suivre ce chemin, apprendre à accepter ces émotions sans les combattre, mais en étant conscient qu’il est normal qu’on les vive sur le chemin qu’on a décidé d’emprunter, c’est vraiment un processus qui mène au positionnement. L’exemple que je prends souvent est le suivant : demandez à quelqu’un d’aller à l’aéroport à 6 h du matin enregistrer des bagages, passer des contrôles de sécurité, attendre deux heures et de rentrer chez lui, il aura la conviction d’avoir vécu une matinée pourrie. Demandez-lui de faire la même chose pour passer un mois aux îles Samoa et il sera tout content (ces phrases marchent aussi au féminin). Les émotions négatives sont les mêmes, mais avec ou sans le sens, ça change tout.

 

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