Légumes rustiques: On s’en souvient bien !

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Scorsonère, rutabaga, topinambour, crosne, panais … Pendant pas moins de cinquante ans, ces anciennes variétés de légumes ont été snobées. N’en déplaise aux fourchettes délicates, ces dernières années, elles sont bel et bien revenues au devant de l’assiette.

Par Sandrine Mossiat

 

Les fifties ont tout fait pour mettre derrière elles les horreurs des années passées et les légumes racines leur rappelaient tant de mauvais souvenirs qu’après-guerre nos grands-parents n’ont plus voulu en entendre parler et encore moins en manger. Avec le grand plongeon dans la modernité qu’a connu alors l’agriculture qui, s’industrialisant, s’est mise à la production de masse, un processus relayé par les supermarchés qui a contribué à l’uniformisation de l’offre, le panier de légumes disponibles s’est sérieusement réduit. Carotte, courgette, poireau, céleri, chou-fleur, etc. … on a vite fait le tour du potager contemporain et constaté sa pauvreté en terme de choix et de qualité. Des tomates de serre, en toutes saisons certes mais sans aucun goût toute l’année durant, des haricots verts durs comme fer en provenance d’Egypte ou du Kenya, des chicons à qui la peur des saveurs extrêmes a fait perdre leur amertume caractéristique, des fraises espagnoles au galbe proportionnellement inverse à leurs saveurs, des salades iceberg sans parfum mais si faciles à préparer, … pour les générations actuelles, le tableau de la consommation en fruits et légumes était devenu plutôt monotone.

Mais la remise en cause des modes de production, l’émergence d’un esprit slow food, la percée de l’agriculture bio, le désir de revenir à la saisonnalité, de redécouvrir son terroir, assortis de l’envie de changer et de manger plus varié et plus insolite, ont remis au goût du jour betteraves et navets atypiques, chou-rave et persil racine …

Un mouvement initié par des toqués

Certains grands chefs ont contribué à cette tendance ; on pense à Alain Passard, le cuisinier trois étoiles de L’Arpège à Paris, qui a imposé sa cuisine légumière à partir de la production de ses propres potagers (il en possède 3) et dont la fameuse betterave-crapaudine en croûte de sel est proprement iconique de cette nouvelle approche de la gastronomie d’aujourd’hui. On pense aussi à Michel Bras à Laguiole dont le sublime gargouillou (une assiette saisonnière de légumes, fleurs et herbes régionales) est aussi belle que bonne. En Belgique, le précurseur en la matière fut sans nul doute, le chef-traiteur Claude Polhig, grand expert des légumes oubliés, des fleurs comestibles et des plantes rares à glaner dans les champs et aux bords des chemins. Peu médiatique, ce Maître-Cuisinier de Belgique est moins connu que Frank Fol, surnommé en Flandres « le chef légume » et dont l’activité didactique orientée grand public promeut la consommation de bien plus de 5 fruits et légumes par jour, au gré de variétés plus … variées. Toujours au rayon des étoilés, Sang-Hoon Degeimbre de L’Air du Temps** à Liernu est réputé pour sa complicité avec Benoît Blairvacq, banquier reconverti qui lui a concocté un jardin « de compétition » ; Gert De Mangeleer a déménagé son Hertog Jan*** brugeois vers une nouvelle ferme afin de disposer d’une vaste surface de maraichage, Christophe Hardiquest de Bon Bon** à Bruxelles est approvisionné en légumes par son beau-frère installé dans le Hainaut, tandis que David Martin, le Martin Bonheur de La Paix*, s’est quant à lui « acoquiné » avec Anne Bortels et José Veys, deux passionnés de jardinage à l’ancienne.

On en fait quoi ?

life-magazineC’est chez ces chefs que l’on a donc découvert ces dernières années la betterave Chioggia est son marbré rouge et blanc, le navet boule d’or aussi jaune qu’un morceau de curcuma, les pommes de terre vitelotte à la chaire mauve, les carottes blanches, jaunes ou violettes, etc. Autant de légumes aux couleurs attrayantes et aux pleines saveurs. La première s’utilise de préférence crue en lamelles et se marie bien avec une crème de chèvre et un filet de vinaigre balsamique, le deuxième offre plus de douceur que son classique frère, le navet blanc, les troisièmes se déclinent en amusantes purées aux couleurs d’Anderlecht, et les dernières dira-t-on n’ont que leur robe originale à mettre en avant, et encore, à la cuisson, le flamboyant mauve des carottes s’efface et brunit.

Le panais adore relever les pots au feu. Cuite vapeur, la courge butternut s’écrase volontiers à la fourchette avec une pincée de cannelle et de poivre noir. Un soupçon de racine persil râpé tonifie une salade en un clin d’œil et, de manière générale, tous ces légumes sont magnifiques coupés en tronçons et rôtis doucement au four ( une heure à 150°C) avec un filet d’huile d’olive et des herbes de Provence.

Reste que les crosnes et leur petit goût d’artichaut demeurent fastidieux à éplucher. Que la peau noire et collante des salsifis est épouvantable à nettoyer. Que les topinambours sont pour beaucoup indigestes et que personne ne sait quoi faire avec un chou-rave. Ah si ! En carpaccio avec un filet d’huile de noisettes, une pincée de fleur de sel et quelques graines de potiron toastées à sec.

Les Jardins de Pomone, Une ode aux variétés oubliées

Depuis toujours, Anne Bortels et José Veys sont passionnés de jardinage. Il y a plus de 10 ans, ils ont créé Les Jardins de Pomone, une association sans vocation commerciale et dont la mission sociale et culturelle est la promotion de la biodiversité et du goût (notamment en encourageant la culture potagère biologique de variétés anciennes de fruits et de légumes) et l’accès à un système d’alimentation durable respectueux de l’environnement. Dans leurs Jardins de Pomone, Anne et José ont redonné vie à près de 600 variétés anciennes de légumes, fruits et plantes condimentaires, avec notamment 134 variétés de tomates. Des végétaux cultivés en plein air et sans produits chimiques. Anne et José proposent des cours de jardinage (jardinage à l’ancienne, jardinage urbain, jardinage de balcon) et des cours de cuisine. Ensemble, ils prodiguent de précieux conseils à ceux qui veulent démarrer un potager familial, tiennent des conférences, organisent des formations dans les écoles et animent un blog d’information et de recettes sur les légumes anciens : http ://lesjardinsdepomone.skyblogs.be). Enfin, avec la Ferme Nos Pilifs, ce sont les organisateurs de la Fête de la Tomate, un événement qui attire des visiteurs de toute l’Europe.

Atelier de biodiversité pour la culture et la cuisine des légumes anciens
Trassersweg 347, 1120 Bruxelles. Tél. 02 262 11 06 – email :
lesjardinsdepomone@hotmail.com

Quelques idées cuisinées

  • Râper un panais cru sur une salade pour une petite note têtue et acidulée.
  • Utiliser la partie pleine de la courge doux beurre (butternut), la couper en fines lamelles et profiter de ses saveurs de melon non sucré sur une salade de betterave Chioggia, pamplemousse rose et graines de grenade. (cf photo)
  • Rôtir une courge entière au four pendant deux heures, la décalotter et la servir avec quelques gouttes de Jack Daniel’s (whiskey du Tennessee), un peu de fleur de sel, de piment d’Espelette et de cannelle.
  • Faire un tartare de betterave cuite et d’oignon rouge, assaisonner de vinaigre de Xerez, d’huile de noix, sel et poivre noir.
  • A l’aide d’un couteau économe ou d’une mandoline, trancher des carottes de couleur, rouler les lamelles et faire cuire à la vapeur.

 


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