Un homme et une femme, 53 ans après

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« Les plus belles années d’une vie » racontées par Claude Lelouch

Ni une suite, ni une fin

« Il a fallu tant d’événements pour que ce film existe. D’abord l’image d’une femme et son chien, un matin, il y a plus d’un demi-siècle, au loin sur la plage de Deauville. Une image qui m’a permis d’en créer tant d’autres. Il a fallu un film en état de grâce, un film qui ne s’est pas effacé des mémoires. Il m’a fallu la liberté de n’en faire qu’à ma tête. Il m’a fallu deux visages intemporels, ceux d’Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant. (…) Il n’est pas question de la suite d’un film qui aurait marqué les esprits.

Je me suis dit qu’il fallait que ce film intéresse même ceux qui n’ont pas vu Un homme et une femme. Qu’il se suffise à lui-même, qu’il soit autonome et libre. Je pars d’une histoire d’amour qui a eu lieu voilà 53 ans et qui a laissé des traces. C’est un film sur les empreintes que nous laissons. Dans le premier flashback du film, Anouk Aimée envoie un télégramme à Jean-Louis et lui dit : Je vous aime. Cette déclaration va bouleverser leur vie. Tout commence au moment extraordinaire où une femme a le courage de dire : Je vous aime.

C’est l’aveu le plus difficile qui soit. Quand vous avez dit ou entendu ces mots, votre vie prend soudain tout son sens. D’un seul coup, on peut se dire qu’on a bien fait de naître, de traverser des épreuves, d’en baver, d’affronter, d’en avoir pris tellement dans la figure. Cette phrase, Je vous aime, compense toutes les épreuves endurées. J’ai construit mon film là-dessus. Toutes ces images sont bien plus que des images de cinéma. Elles sont devenues nos propres souvenirs ! Elles nous appartiennent comme si nous avions vécu cet amour-là. Un Je t’aime appartient à tout le monde. »

les plus belles années

Troisième mi-temps

« Alors que nous fêtions le 50e anniversaire d’Un homme et une femme, j’ai observé Jean-Louis et Anouk qui étaient réunis. Pierre Barouh et Francis Lai étaient encore présents. Tous riaient, s’amusaient. La joie de se retrouver était immense ! C’était comme un rendez-vous inachevé, que l’on avait envie de prolonger indéfiniment. Ce jour-là, j’ai vu tout ce qui les a rendus si uniques et si beaux au fil des années. Je me suis dit qu’il serait formidable de réunir à nouveau Anouk et Jean-Louis, de les retrouver. Comme d’éternels fiancés qui n’auraient pas encore dit leurs derniers mots, et que ces derniers mots pourraient aussi être les premiers. J’ai pensé que jouer les prolongations dans une totale liberté pourrait être le pari de ma vie de cinéaste. Je me suis dit qu’à l’âge que nous avions, je pourrais tout leur faire dire. Il y avait prescription ! Anouk et Jean-Louis sont dans la 3e mi-temps, moi aussi. On peut enfin dire ce que l’on pense… Alors que dans la vie de tous les jours, on a tendance à modérer nos propos. » 

Un homme et une femme

« Lorsque j’ai réalisé Un homme et une femme, j’avais 26 ans. Anouk et Jean-Louis étaient déjà des stars. Anouk sortait de chez Fellini, Trintignant de chez Vadim. J’étais paradoxalement dans le même état d’esprit que pour ce nouveau film. A l’époque, je venais d’enchaîner six films qui n’avaient pas intéressé le public. Alors j’ai fait Un homme et une femme comme si c’était mon dernier. Quand on fait les choses pour la dernière fois, on donne tout, on va au bout des choses, on n’a plus rien à perdre.

J’avais écrit une trentaine de pages de scénario qui ont été refusées par tout le monde. Je n’ai pas trouvé un producteur ni un distributeur pour me suivre. A l’époque, les premiers James Bond venaient de sortir… Et tout le monde voulait faire ce genre de film, rien d’autre. Ne trouvant personne, je me suis lancé tout seul, en m’endettant, et je savais très bien que si ce film se plantait, il faudrait que je fasse autre chose que du cinéma. J’avais envie de filmer un homme et une femme, et non un acteur et une actrice.

C’était ça la grande différence, et je l’avais bien dit à Anouk et Jean-Louis. Tous les jours, il se passait quelque chose que j’arrivais à saisir. A la fin, on s’est dit qu’on avait peut-être fait un bon film. Mais on ne pensait pas avoir fait un film qui allait faire le tour du monde ! Tous ceux qui avaient eu du mal à vivre une histoire d’amour se sont reconnus dans Un homme et une femme. Ce film est devenu une sorte de mode d’emploi de cette chose aussi compliquée que magnifique qu’est l’amour. On a remporté la Palme, l’Oscar, une quarantaine de récompenses internationales… Un fulgurant succès planétaire. » 


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