Un homme et une femme, 53 ans après

Reading Time: 6 minutes

Les retrouvailles

« J’ai finalement la chance extraordinaire d’avoir attendu 52 ans pour faire ce film. La surprise et la spontanéité sont au cœur du projet. Quand Anouk emmène Jean-Louis dans leur chambre à l’hôtel Le Normandy – là où ils ont fait l’amour la première fois, j’ai vu leur réaction, leur tête ! C’est comme si je les avais ramenés sur les lieux du crime. Cette chambre est d’ailleurs devenue une chambre-musée. Je sentais bien qu’ils étaient perturbés, qu’au-delà des acteurs, il y avait un homme et une femme. Quand je les ai amenés à la gare ou sur la plage, quand je les ai ramenés là où leur histoire s’est construite, j’ai bien vu sur leur visage qu’il se passait quelque chose. A ce moment-là, aucun metteur en scène ne peut rien diriger. C’est pour ça que je dis que c’est un film miraculeux ! »

Un formidable jeu d’acteurs

« D’un seul coup, ce qui nous a fait peur est devenu un jeu. Nous nous sommes amusés. Selon le tempérament de chacun d’entre nous, la vie est un jeu d’échecs ou de poker. Dès le premier jour, le résultat de la partie nous a donné envie de recommencer, jour après jour ! J’ai aussi eu la chance de bénéficier de comédiennes exceptionnelles qui sont venues pour des rôles courts mais très importants. Monica Bellucci incarne la fille de Jean-Louis, Elena, et il fallait sa puissance pour exister si fort en si peu de temps. Marianne Denicourt amène l’humanité du soin, un fil rouge bienveillant et pétillant. Quand je vois la beauté d’Anouk, qui n’a rien perdu de son charme, de son élégance, c’est impressionnant. Quand je vois l’humour de Jean-Louis, son recul sur la vie… Je pense à tout ce qu’il a vécu. Je remercie encore une fois l’irrationnel de me permettre de filmer l’humanité qu’il a su en tirer. Parce qu’il a su s’en nourrir. Je suis allé le voir au théâtre. Je n’avais jamais rien vu de plus beau sur une scène de théâtre. Quand il lit des poèmes, il offre des instants de grâce extraordinaire. Il y a dans sa voix toute la vérité du monde et dans son sourire, toute la séduction du monde. Face à lui, Anouk est lumineuse. Elle incarne sa chance, sa mémoire, son énergie. Ce film, cette confrontation de personnages, c’est le portrait d’une femme et d’un galopin. C’est un homme qui a aimé les femmes, aimé la vie, qui n’a pas été fidèle, qui a eu tous les défauts du monde. C’est véritablement le portrait d’un galopin qui est resté dans l’humour, dans la drôlerie, qui n’a jamais eu peur de rien. Alors qu’elle est une vraie dame. Une femme qui croit à la fidélité, qui croit à un seul amour. La mort est mise hors-jeu dans ce film. Il n’y a que de l’espoir ! Je ne les ai jamais vus aussi beaux tous les deux. »

Ode au temps qui passe

« Au montage, quand j’ai découvert le visage de Jean-Louis, alors que la caméra va lentement le chercher comme un souvenir qui refait surface, et celui d’Anouk, en femme perdue mais lucide, j’ai pleuré. C’est comme si je redécouvrais leur visage, sur lequel le temps avait laissé son empreinte. J’avais en mémoire les images de leur rencontre, filmée un demi-siècle auparavant. J’ai attendu les images de cette rencontre, et lorsqu’elles ont surgi, j’ai pleuré à nouveau. J’ai tant de fois travaillé la dramaturgie en entremêlant le présent et le passé.

Mais là, j’ai senti que j’avais atteint quelque chose que j’avais rêvé. J’ai filmé le présent et le passé lointain avec les mêmes personnes, avec leur âge réel dans chaque époque. Pas de maquillage, pas de comédiens différents pour jouer les personnages jeunes, puis âgés. Les mêmes visages sur lesquels le temps a fait son œuvre. Leurs regards racontent ce qu’ils ont fait de leur vie. Le réel, la mythologie du réel même – ce qu’on sait et ce qu’on imagine d’Anouk et de Jean-Louis – se mêle alors à la fiction qui se nourrit aussi de la réalité. C’est une mise en abîme immense et bouleversante. Et pleine d’humour aussi, comme mon dernier acte de résistance au temps qui passe. »


© Fiftyandme 2024