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Wannsee 1942 raconté dans une BD

Si le rôle premier de la bande dessinée est de divertir, force est de constater que le monde de la BD a bien évolué pour élargir ce simple vecteur de divertissement et le transformer en un outil éducatif. Qui permet d’aborder bien des points sensibles de notre société et de pousser à la réflexion. Comme cet excellent album, Wannsee, publié chez Casterman et qui participe au devoir de mémoire.

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20 janvier 1942. Wannsee, banlieue chic de Berlin. L’activité bat son plein au coeur d’une villa somptueuse, occupée par la SS. Une réunion capitale s’y prépare. Tout est quasiment en ordre, quand s’avance un cortège de berlines dans l’allée du parc.  A leur bord, de hauts fonctionnaires nazis invités par le général SS Reinhard Heydrich. Un fanatique de la pire espèce, psychopathe craint et haï à la fois pour sa cruauté naturelle.
Un homme sans pitié qui va présider une réunion secrète, qui n’existe officiellement pas. Et pour cause. Elle va décider du sort des juifs pris dans la nasse née de la conquête de l’Europe par l’Allemagne nazie. Déjà mis au ban de la société par les lois de Nuremberg de 1935, les juifs ignorent que cette réunion a pour but de les conduire à la mort. Comme le précise Heydrich à ses invités, « Messieurs, il est temps de dire aux juifs qu’ils ne peuvent plus vivre. »

En un peu plus de deux heures, Heydrich et les fonctionnaires réunis vont minutieusement et froidement mettre au point les grandes lignes de la solution finale pour les juifs. Une simple évacuation, soit le terme politiquement correct utilisé pour une extermination annoncée. Chaque détail sordide est analysé, prévu pour une mise en route rapide. Le nombre de trains à utiliser pour conduire, le rendement à atteindre par jour… Rien n’est laissé au hasard, pour permettre un holocauste rapide et efficace.

Avec Wannsee (éd. Casterman), Fabrice Le Hénanff signe une oeuvre de fiction, soit, mais solidement documentée eu égard au sujet qui ne pouvait souffrir d’aucune approximation historique.  Par la mise en page, l’auteur invite le lecteur à prendre part, bien malgré lui, à cette conférence. Comme s’il était assis au milieu des fonctionnaires nazis. Non pas sans ressentir un certain malaise de se retrouver avec ces technocrates du crime. Sous le regard cruel de Heydrich.
Après le récit de cette réunion, sans doute la plus importante de la guerre, l’auteur livre une biographie des intervenants. Histoire de mettre un visage sur ces fonctionnaires qui ont mis de côté honneur et humanité pour suivre fidèlement Heydrich. On retrouve ainsi quelques beaux salauds du régime nazi, comme Adolf Eichmann, Rudolf Lange, Heinrich « Gestapo » Müller ou l’hystérique Roland Freisler, connu pour avoir « jugé » les conjurés du complot contre Hitler en 1944.

Pour composer ses planches, Fabrice Le Hénanff a utilisé certains clichés historiques bien connus pour composer une sorte de roman-photo très réaliste. Le résultat est bluffant.
Nul doute, sa BD mériterait à coup sûr de figurer parmi la liste de livres à lire pour les cours d’histoire. Toute la folie d’un régime résumée en quelque 88 pages.
La réunion avait quant à elle duré à peine deux heures. Deux heures, pour mettre en œuvre la mort effroyable de 5 millions de juifs, hommes, femmes et enfants. Soit la moitié de l’objectif décidé au départ de la solution finale. Face à ce bilan effroyable, le grand public a pu oublier les premières victimes de ce massacre de masse : les handicapés physiques et mentaux.  Entre 1940 et août 1941, le régime a ainsi exterminé entre 70.000 et 80.000 malades, sous le couvert du programme Aktion T4. Tous ont servi de test pour les méthodes d’extermination de masse. Ne les oublions jamais non plus.

Un album qui se doit de figurer parmi les meilleurs volumes de cette année et dont la lecture ne laisse pas le lecteur indemne. L’album refermé, le sujet laisse le lecteur choqué, avec un sale goût en bouche. Une lecture qui dérange. Voilà qui est plutôt positif. Elle prouve que l’auteur a bien atteint son but.
A l’heure où le nombre des témoins de la Shoah se réduit comme peau de chagrin, il est désormais nécessaire de transmettre cette mémoire aux jeunes générations. Une BD qui participe à ce devoir de mémoire, et de bien belle façon. Et qui rend un hommage indirect à Claude Lanzmann, réalisateur du film Shoah, disparu le 5 juillet dernier.

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Wannsee. Dessin et scénario de Fabrice Le Hénanff. Editions Casterman, 88 pages, 18 euros
Couverture : éditions Casterman

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