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Jean Dujardin nous dit toute la vérité sur « J’accuse », le nouveau film de Roman Polanski

Les grands sujets font souvent de grands films ! Et l’affaire Dreyfus est un sujet exceptionnel. D’autant plus que, plus d’un siècle après, cette histoire est toujours aussi actuelle… Si tout le monde connaît le grandes lignes du destin de cet homme injustement accusé qui déchira la France à la fin du XIX siècle, Roman Polanski nous raconte cette sordide affaire du point de vue du colonel Picquart. Alors qu’Emile Zola signait un séisme médiatique sans précédent avec son fracassant « J’accuse » (à la Une de l’Aurore du 13 janvier 1898), Roman Polanski bouscule le 7ème art dans une mise en scène époustouflante avec un Jean Dujardin magistral. « Il semblait parfait pour le rôle de Picquart » souligne le réalisateur. « Il lui ressemble, il a le même âge, et c’est un grand acteur. Ce n’est pas par hasard qu’il ai eu un Oscar ! ».

Et peut-être bientôt un deuxième ?

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Vous incarnez le Lieutenant-Colonel Georges Picquart. Vous connaissiez son rôle déterminant pour innocenter Dreyfus ?

Jean Dujardin : Non pas du tout, comme beaucoup de Français je pense. Tout le monde connait le mythe Dreyfus ; Zola et son « J’accuse » ; éventuellement Esterhazy, le véritable traitre de l’affaire. Mais pour le reste… J’ignorais tout de l’histoire de Georges Picquart et sa détermination à révéler le vaste complot militaire contre Dreyfus. C’est un personnage assez fascinant : un homme intègre, épris de justice au point de sacrifier sa carrière et sa liberté pour la vérité. À l’origine, il est loin d’être philosémite, au contraire. Le film dépeint très bien cette France bourgeoise, catholique et viscéralement antisémite où l’armée toute puissante est au centre de tout. C’était très intéressant d’incarner un personnage avec de telles aspérités. Mais Roman ne s’appesantit pas sur la dimension psychologique. On le comprend immédiatement à la lecture du scénario. Il donne les ressorts intimes de Picquart, pointe ses ambiguïtés, mais ce qui l’intéresse, c’est d’offrir une vue aérienne d’une grande histoire. »

Comment avez-vous abordé ce rôle ?

Jean Dujardin : De manière très monacale. Roman m’a demandé de perdre un peu de poids pour me dessiner une silhouette plus martiale. Il m’a d’ailleurs prescrit un régime drastique : dîner frugal le soir à 19h et déjeuner le lendemain à 13h. Grace à ces jeûnes de quinze heures, j’ai perdu sept kilos en deux mois. Pour le reste, je me suis préparé comme le demande Roman, avec beaucoup de précision. J’aime choisir des films qui me font un peu peur, et celui-là, je le redoutais.

Pour quelles raisons ?

Jean Dujardin : Je tiens le rôle principal, je suis quasiment sur tous les plans, c’est une grosse responsabilité. Et puis Roman est un maître… Il fallait être à la hauteur. Pour la première fois de ma carrière, j’ai pris un répétiteur et je me suis enfermé pendant deux mois pour apprendre mon texte. Les dialogues sont très littéraires, techniques, avec plein de pièges. Parfois je travaillais avec la musique de John Barry, elle donne de l’espace et du souffle. Avec John Barry, on est déjà au cinéma, même en répétition. J’ai travaillé jusqu’à l’abrutissement pour ne pas douter le jour du tournage. Mon rôle imposait cette confiance. Je connais les militaires, le regard franc, droit… Cette étape était importante car il n’y a pas eu de lecture avec Roman et les autres comédiens pour préparer le tournage.

Il ne s’agit pas de votre premier rôle dramatique, mais vous l’incarnez avec une sobriété et une retenue inédite…

Jean Dujardin : Je me suis débarrassé des scories, j’ai joué à l’os. Roman raconte l’histoire, je l’incarne. Il ne fallait pas en rajouter ou surjouer l’uniforme. Au contraire. Roman m’a encouragé à l’introspection. J’ai travaillé sur les jeux de regard, les silences, les colères froides. J’ai aussi puisé dans la figure de mon père. Un homme droit, intègre, réconfortant, courageux
et très ordonné, avec une personnalité forte. Il aurait sans doute pu être un bon militaire. Donc forcément, il est venu en moi naturellement. Je savais que je serais juste en étant un bout de lui. Sur le plateau, je me suis surpris à être extrêmement concentré, et à aimer ça. Je me suis autorisé très peu de sorties de route même quand la fatigue gagnait.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Jean Dujardin : Intense, mais il n’a été ni difficile, ni douloureux. En revanche, il s’est étalé sur soixante-quatorze jours, ce qui est très long pour un film français. Il a fallu que je sois un peu plus endurant… Endurant à la méthode de Roman également. Et elle n’est pas toujours simple. Il faut suivre, ne jamais s’endormir sinon il ne vous loupe pas. Vous n’êtes pas là pour faire de la figuration. Et c’est vrai pour n’importe quel corps de métier sur le plateau. Il dirige tout, du premier assistant au régisseur. Il parle au cadreur en anglais, au chef opérateur en polonais, aux comédiens en Français, en italien avec un figurant… Il compose ses cadres comme des tableaux, alors tout doit être parfait, les drapés dans un lit, une branche dans une forêt… Il nous est arrivé de répéter une scène trente fois tellement il se montre attentif au moindre détail, toujours prêt à enrichir un plan avec un accessoire, une élocution à affiner, un silence à creuser. Avec Roman, il faut être technique sur le texte, droit dans son jeu et souple pour s’adapter à sa mise en scène. C’est normal, il est exigeant avec les autres et encore plus avec lui-même. Et puis, « J’accuse » est un film important pour Roman, sans doute aussi important que « Le Piansite ». Rien ne devait le faire dévier de son enjeu.

Quelles furent les scènes fortes du tournage ?

La scène du procès de Zola reste l’un de mes souvenirs les plus émouvants. Nous avons tourné dans l’ancien Palais de Justice de Paris, sur l’Île de la Cité, plus précisément dans la salle de la Cour d’appel où s’est tenu le procès Pétain. Le genre de scène que l’on appréhende un peu, avec 400 figurants, un texte très dense ; mais Roman a su trouver les mots pour me donner confiance. Il est lui-même comédien donc un formidable directeur d’acteur. Il passe par le plaisir pour vous faire accoucher, sans chercher à vous abrutir, vous brusquer ou vous fragiliser.

La scène du duel à l’épée avec Grégory Gadebois est également impressionnante…

Jean Dujardin : On l’a répétée comme une chorégraphie avec le Maître d’armes Michel Carliez. Il nous a enseigné les rudiments de cet art très codifié : la position des pieds, comme tenir son épée, la touche, reculer et avancer en quart de temps. Le déplacement est primordial, il peut vous tuer ou vous sauver. C’est une scène magnifique. Roman aurait pu la dynamiser en restant sur des plans serrés, mais non, il est resté en plan large, à la différence des scènes d’actions classiques. Il ne veut pas frimer ou séduire, il cherche la vérité. Il filme avec un classicisme que l’on ose plus faire aujourd’hui ; et en même temps « J’accuse » est un film très moderne. Un thriller sur fond d’espionnage resserré et rythmé et certainement pas dans une leçon d’histoire pompeuse et didactique. Il parvient même à insuffler des petites doses d’humour notamment quand les révélations de Picquart sèment la panique au sein de l’État-major français.

Selon vous, « J’accuse »est un film utile aujourd’hui ?

Jean Dujardin : Je dirais même nécessaire, surtout en ces temps où la xénophobie et les populismes donnent de la voix dans certains pays d’Europe. Le film parle d’antisémitisme, d’injustice, mais aussi de courage, c’est une belle notion, très cinégénique. Il est toujours utile de revisiter certaines pages sombres de notre histoire, sans donner de leçons, en restant dans une promesse de cinéma, donc de plaisir.

 

« J’accuse », de Roman Polanski, le 13 novembre au cinéma


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