On demande experts

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Le nombre d’années n’altère point la valeur. Même après une longue carrière, ce qui compte c’est le talent et le punch.

par Jean Blavier

 

La mode, ça ne concerne pas que la couleur des voitures ou la longueur des jupes. Sans verser dans l’histoire économique, rappelons tout de même qu’il y a un quart de siècle le mot d’ordre était : « on débarque les vieux, ils coûtent trop cher. Qu’ils aillent faire leurs mots croisés sur la digue à Knokke ».

Les réfractaires qui refusaient de se voir ainsi mis au rebut et les (rares) observateurs qui disaient ne pas comprendre qu’il y ait un quelconque avantage économique au fait d’embaucher un jeune tout en continuant à payer celui qu’il remplace se voyaient systématiquement montrer le chemin avec insistance : « à Knokke ! » L’expérience ? « Personne n’est irremplaçable. Du balai ! »

Virage à 180°

Aujourd’hui, c’est l’inverse. La couleur des voitures a changé – le blanc revient en force, dit-on –, la longueur des jupes est variable, mais avec quelque chose comme 50 % seulement de plus de 55 ans qui ont encore une activité professionnelle et un âge effectif de la retraite qui tourne autour de 58 ans, la Belgique s’étrangle financièrement. Bref, il faut remettre tout le monde au travail. La mode, cette mode-là du moins, a changé.

Il y a à l’origine de ce virage à 180 ° une nécessité qui ne s’est que très laborieusement imposée après une trop longue période d’aveuglement. Trop longue ? Mais oui ! Il n’était pas très difficile, il y a vingt-cinq ans, de voir ce qui se passait en Suisse ou aux Etats-Unis. Par exemple : « se séparer des plus de 50 ans ? Jamais ». D’ailleurs, où la croissance économique est-elle la plus forte ? Dans les pays où tout le monde est (resté) au travail.

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C’est encore le cas aujourd’hui : la Suisse, ce havre de paix dans un monde tempétueux, fait mieux que tout le monde. La tour de contrôle de l’aéroport de Houston au Texas, un des plus fréquentés au monde, est peuplée de quinquagénaires : « ce sont les seuls qui résistent au stress », dit le responsable local des aiguilleurs du ciel.

En fait, au lieu de virer les vieux pour mettre des jeunes à leur place – ce qui d’ailleurs n’a jamais fonctionné, le chômage des jeunes en est la preuve -, il fallait maintenir les quinquas au travail et soutenir la croissance pour que l’économie crée d’elle-même les emplois auxquels la jeune génération aurait pu prétendre. La mode a changé… chez les employeurs aussi. Les enquêtes montrent que beaucoup de dirigeants d’entreprise hésitent désormais à se séparer de leurs techniciens les plus âgés, c’est-à-dire les plus expérimentés. Certains chasseurs de tête se targuent même de parvenir à replacer sur le marché du travail des quinquas victimes de restructurations.

Hélas, tout n’a pas changé. Et surtout ça ne change pas assez vite. Il y a encore trop d’employeurs qui pratiquement l’ostracisme à l’égard des plus âgés. Encore qu’il faille nuancer.

« Rising star »

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Et sur le terrain ? Céline est spécialisée dans le recrutement de cadres et managers. A l’aube de la trentaine, elle a déjà travaillé sur la politique de recrutement de trois (gros) employeurs. Son constat ? Oui, tout a changé. Mais pas forcément dans le sens où on l’entend généralement. Elle s’explique : « un recrutement, ça coûte cher. Très cher. Les employeurs cherchent à réduire ces coûts, donc à recruter des gens qui, à leurs yeux, présentent un potentiel. Des jeunes ? Oui, mais des jeunes qui ont en eux des capacités de rising star. Pour qu’on puisse en faire plus tard des cadres de direction, voire un patron ». Et les plus âgés ? « Si un cadre de 55 ans qui a perdu son job dans une restructuration a de la valeur, du talent, on lui retrouvera du travail. Ou il en retrouvera tout seul s’il a un réseau. Je ne crois pas que sur ce plan les choses aient fondamentalement changé ».

Qu’est-ce qui a changé alors ?

« La notion de valeur. C’est devenu le critère n° 1. En tant que recruteur, vous pouvez très bien vous trouver devant un quinquagénaire qui a perdu son job de cadre supérieur du fait d’une restructuration, ce qui, je viens de vous le dire, ne pose pas de problème en soi. Mais si vous découvrez qu’il est uniquement devenu directeur de la logistique grâce à son ancienneté ou directeur commercial parce qu’il était le meilleur vendeur, là, vous avez un problème. Et la personne en question aussi. Un problème de valeur ». En échange, celui (ou celle) qui était et reste sur sa trajectoire de rising star malgré un accident de parcours ne devrait pas buter sur cet obstacle – ce qui prouve que le nombre des années n’altère pas la valeur.life-magazine

Simon dirige une importante agence d’intérim de la capitale. Des quinquagénaires, il n’en voit pas beaucoup, ce qu’il  regrette : « je ne fais pas de discrimination. Si un électricien ou un technicien en ventilation de 50 ans se présente chez moi, je lui trouve un job ». Facilement ? « Mais oui ! Il y a pénurie pour ce type de compétence. Et certains employeurs apprécient de travailler avec quelqu’un qui est à même de s’intégrer dans une équipe et qui peut faire office d’exemple par rapport à une génération Y qui à leurs yeux se fiche du tiers et du quart ». Bref, on demande experts. Experts talentueux. A cette double condition : expertise, talent. Au fond, l’âge on s’en f…



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