Un beau geste même après la mort ?

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Le legs en duo est une technique de gestion successorale permettant de favoriser certains héritiers tout en aidant des associations. 

Par Patrick Van Campenhout

On n’a pas tous la chance d’avoir des enfants, un époux ou cohabitant, et de partir un jour dans la paix en sachant que ce que l’on a mis de côté une vie durant leur reviendra sans que l’Etat (les Régions, en réalité) ne ponctionne trop lourdement ce dernier cadeau. Des personnes seules, voyant venir la fin de leur vie souhaitent, et c’est bien naturel, transmettre leur patrimoine à des personnes qui ont leur confiance, leur affection, leur amour. Mais il faut savoir que les droits de succession – ils varient selon les Régions du pays – frappent très lourdement ce patrimoine s’il n’est pas transmis en ligne directe, entre époux, aux enfants, entre frères et sœurs. Imaginez une personne seule, âgée, sans famille, à qui un voisin apporte chaque jour un repas, prend le temps d’échanger quelques mots. La valeur de cette relation est inestimable, bien entendu. Prévoyant la suite, inéluctable, cette personne souhaiterait faire de cet ami attentionné l’héritier de son patrimoine. Cela n’a rien d’évident pourtant. Sachez que pour un patrimoine mobilier de plus de 75.000 euros, les droits de succession qui seront prélevés atteindront… jusqu’à 80 % en Région wallonne sur la tranche supérieure (au total, 38.125 euros de droits soit plus de 50 %).

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Alors, c’est peut-être gênant ou désagréable de parler de la mort mais il faut le faire lorsqu’on est confronté à une telle hypothèse : celle de voir une énorme partie de son patrimoine disparaître du cadeau que l’on veut faire à une personne aimée. Parlons-en ! L’interlocuteur pour gérer ce problème – car c’en est un – c’est le notaire. Ce spécialiste est présent aux moments forts d’une vie, le mariage, l’achat ou la vente d’un bien immobilier, les donations et les successions. C’est un technicien du droit, capable d’assister les personnes dans les moments difficiles aussi, comme la rédaction d’un testament ou la recherche d’une solution aux problèmes de succession.

A ce titre, il est capable de préparer et d’expliquer une technique tout à fait légale qui permet de réduire la pression des droits de succession pour un héritier éloigné comme celui mentionné plus haut. Il s’agit du legs en duo qui permet de réduire ces droits tout en transmettant une partie de l’héritage à une ONG, une association ou une fondation d’utilité publique. Ceci permet donc de partir l’âme en paix, de remercier un proche et de favoriser une association aux buts appréciés. Comment ça marche ? Les cas diffèrent, rappelons-le, selon les Régions. Il convient dès lors de soumettre les situations et les demandes à la sagacité des spécialistes que sont les notaires ou les conseillers en planification successorale. C’est très important. Un notaire conseille et éclaire gratuitement, et il a une obligation de résultat. Ce qu’il met en place « doit » produire les effets désirés.

Situation complexe

Pour éviter de rendre la perception du legs en duo trop complexe, disons que l’on scinde l’héritage en deux parties. L’association bénéficiant d’un taux réduit va payer les droits sur la part dont elle hérite et payer les droits (plus élevés) sur la part de l’héritier qui n’a pas de liens familiaux avec le testateur. Et finalement, tout le monde s’y retrouve : l’association reçoit une part de l’héritage (elle doit être significative pour ne pas fournir les éléments prouvant un montage abusif, même si cette notion est floue) et le particulier reçoit finalement un héritage net plus élevé que s’il avait reçu la totalité de l’héritage brut diminué de droits très élevés. Attention : les cas diffèrent selon les régions et les montants ! Si les taux diffèrent pour les légataires selon leur niveau de parenté et selon les Régions (on prend en compte la Région où le testateur a vécu ses 5 dernières années), ils diffèrent aussi selon les associations et les Régions. Sans entrer dans le détail, rappelons que ces droits de succession pour les associations sont en Région bruxelloise de 12,5 % (associations avec agrément fédéral, sinon le taux est de 25 %) et de 6,6 % pour les Fondations d’utilité publiques (plusieurs associations disposent d’une Fondation liée comme Médecins Sans Frontières par exemple). Ce taux varie pour les 2 autres régions : il est de 8,5 % en Région flamande et de 7 % en Wallonie sans discrimination entre associations et Fondations d’utilité publiques.

La Ligue Braille aide à y voir plus clair

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Qui ne connaît pas la Ligue Braille ? Cette association qui sera bientôt centenaire effectue quatre missions principales pour aider les personnes aveugles ou malvoyantes. « Nous les aidons d’abord à trouver leur autonomie dans la vie de tous les jours. Essayez de faire ce que vous avez fait ce matin… dans le noir et vous comprendrez », explique Michel Magis, le directeur de la Ligue. L’association qui est présente partout dans le pays au travers d’antennes locales souhaite avant tout impliquer les personnes dans leur travail d’adaptation. Pour ce faire, elle agit aussi au niveau de l’information pour défendre leurs droits et sensibiliser l’opinion publique. « Sachez que les aides prévues pour les personnes handicapées de la vue ne couvrent pas les personnes dont la vue se dégrade après l’âge de 65 ans ». Il y a donc là un travail à effectuer. Mais la Ligue veille à assurer elle-même une part de ces aides sur le terrain, en pratique, avec ses 115 employés et 428 volontaires qui portent leurs efforts envers 13.500 personnes.

La Ligue dispose aussi d’une Fondation d’utilité publique – La Fondation pour les aveugles – qui apporte son soutien à la recherche en ophtalmologie, afin de faire évoluer les traitements. Sur le terrain, nous explique Michel Magis, la Ligue est une machine de guerre… pacifiste. Mais pour faire la guerre, il faut de l’argent. « Il y a pour cela des subsides à hauteur de 22,50 % du budget, 5 % tirés de la vente des billets de la tombola de la Ligue Braille, et surtout les legs et les fonds qui pèsent pour plus de 60 % du budget », nous explique Pierre Bareel, conseiller du comité de direction de la Ligue. Ici, les personnes intéressées trouveront des explications et un accompagnement dans le cadre d’une volonté de donation ou de legs en duo, notamment.

Les Iles de Paix aident sans assister

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On connaît le leitmotiv des Iles de Paix fondées par Dominique Pire il y a un demi-siècle : « Si tu reçois un poisson, tu mangeras un jour, si tu apprends à pêcher, tu mangeras toute ta vie ». C’est plus qu’un slogan, c’est une manière d’envisager le travail de développement mené sur le terrain, en Afrique et en Amérique latine par les équipes de cette ONG (organisation non gouvernementale) qui se veut artisanale dans sa manière d’interagir avec les villages où sont menés les projets. Ici, nous explique Christine de Bray, « on travaille sur place avec les gens, les autorités locales, et si l’on investit dans un projet comme l’installation d’une captation d’eau par exemple, on demande un investissement humain et même financier des gens concernés ». Les collaborateurs aux projets sont d’ailleurs des locaux, à l’exception d’un contrôleur de l’association qui s’assure que l’argent est bien dépensé dans les projets où les Iles de Paix s’impliquent en moyenne pour une durée de 10 ans. Les équipes des Iles de Paix savent ce que c’est que de vivre et de voyager « low cost »… C’est sans doute là que cette ONG à taille humaine séduit quelque 40.000 bénévoles qui chaque année l’aident à récolter des fonds en vendant les fameux modules multicolores. Si l’organisation veut rendre la fierté aux populations aidées, elle peut s’enorgueillir de ce capital confiance. Et en évoquant le capital, sachons qu’on tourne ici avec un budget de quelque 4 millions d’euros dont la part liée aux dons et successions est proche du million d’euros. Le legs en duo est apprécié et assisté pour autant que l’association y trouve son compte. Les frais avoisinent bon an mal an 10 % des dépenses. Sur les projets, l’ONG déploie 80 collaborateurs et 20 personnes font tourner la machine ici. Comme pour les autres associations, un rapport annuel clair est disponible en ligne sur les sites Internet.

Médecins sans frontières, sur le terrain, parce qu’il le faut !

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On les voit à la télé, intervenant dans des situations humaines épouvantables, dénonçant les souffrances des populations auxquelles elles apportent une assistance. Ce sont les équipes de Médecins Sans Frontières, une organisation qui, comme son nom l’indique, fait peu de cas des limites des Etats. Sa philosophie ? « MSF est une organisation médicale indépendante et autonome », nous expliquent des responsables de la section belge. « Depuis plus de 40 ans, nos actions sont guidées par l’éthique médicale et les principes de neutralité et d’impartialité. MSF propose une aide aux personnes sur base de sa propre évaluation des besoins et sans aucune discrimination. Nous soignons, vaccinons, opérons les blessés. Nous leur fournissons eau, abris, nourriture. Nous construisons des structures sanitaires assurant ainsi aux milliers de personnes qui en dépendent, l’accès aux soins pour des années à venir. Réunies autour d’une même charte, les équipes de MSF sont composées de personnel médical, logistique et administratif ; expatriés ou employés nationaux. La garantie de l’indépendance opérationnelle de l’association s’enracine dans son financement privé assuré par la générosité de ses donateurs privés, qui lui assurent de ne dépendre d’aucun gouvernement ou d’aucune organisation internationale ». Ici aussi, les dons et legs sont une source de financement incontournable. Ils représentent, en Belgique, 47 millions d’euros dont 10,3 millions de legs (2014). Une juriste se tient à la disposition des testateurs afin de répondre aux questions qu’ils se posent; notamment sur la technique du legs en duo.

Qu’en pense le législateur ? 

Au fil des alliances politiques et des gouvernements, l’opinion du « législateur » a évolué. Il y a quelques années, on a cru que les techniques classiques de planification patrimoniales étaient en voie de disparition. Mais le bon sens a repris ses droits et ces modes de gestion des patrimoines ont retrouvé droit de cité. Au fil des cas évoqués en justice et des circulaires administratives, on en est revenu à un environnement sécurisant.

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Dans ce cadre, les notaires et les juristes spécialisés sont à nouveau à l’aise pour conseiller les familles. Il n’y a, dans ces opérations, pas de volonté de frauder. Rien n’interdit d’utiliser la voie la moins imposée pour gérer une succession. Les organismes bénéficiaires des legs en duo le savent, ce qui leur permet de proposer cette solution et d’aider les personnes concernées à planifier en toute quiétude ce qui se passera après leur départ. Une fois ces formalités réglées, les personnes âgées sont apaisées et bénéficient d’une meilleure qualité de vie : c’est un souci effacé !



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