Ensemble mais chacun chez soi, un nouveau mode d’habiter?

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Vivre avec plusieurs familles dans une vieille ferme en pleine nature, habiter dans un éco-quartier où toutes les générations se côtoient, un peu partout en Belgique, de nouveaux projets d’habitat groupé sortent de terre. Découverte d’expériences d’un « vivre ensemble autrement »

Par Christiane Thiry, Martine Dory et Els Vermoesen – photos Jérôme Allard

Habiter avec ses voisins et ses parents, cela existe depuis la nuit des temps. Ce qui relie aujourd’hui les projets d’habitat groupé, c’est le même désir de retrouver une vie de quartier inspirée des petits villages d’antan où chacun se connaissait et échangeait, mais, surtout celui de vivre responsable et solidaire, de réintroduire des liens dans un univers hyper individualisé tout en gardant son intimité. Séduits par l’approche, des groupes de familles se forment et cherchent des terrains pour vivre ensemble. Certains y réussissent, tel le projet de « La Grande Cense », d’autres échouent. D’autres encore, comme au Pic au vent, rejoignent un éco-quartier en cours de construction.

 Le sentiment d’être reliés

Luc Jonckheere, La Grande Cense

Luk Jonckheere, 58 ans, psychiatre, est le moteur du site samenhuizen.be et l’initiateur de “La Grande Cense”, un projet de cohabitation qui prend forme, niché dans une ferme en carré à la limite du petit village de Clabecq. Cela fait plus de 20 ans que Luc Jonckheere est passionné par l’idée de communauté et de tribu. « J’ai grandi dans un appartement avec mon frère et mes parents, au milieu de la ville. Nous avions peu de contacts avec les voisins et je n’ai pas eu la chance de jouer avec d’autres enfants. Heureusement, il y avait les mouvements de jeunesse. J’étais en quête de racines, de communautés, et fasciné par la vie de quartier. Le rêve d’acheter avec mes amis et ma famille un village et d’y vivre tous ensemble ne m’a jamais quitté. En 2004 il achète avec des amis une ferme en carré sur un terrain de 1,12 hectare. La Grande Cense prend vie, formée par un groupe de 22 familles. Chaque résident dispose d’une maison, d’un appartement ou d’un studio qui lui est propre, mais aussi d’une grande cour intérieure, d’un jardin, une plaine de jeux, d’un potager et d’un verger. Sont également prévus une grande salle à manger commune avec une cusisine semi-professionnelle, un salon, un atelier, des chambres d’hôtes et un espace d’escalade.

Se réaliser dans le collectif

Luc Jonckheere , Samenhuizen

Avec d’autres, Luc a créé la société « Samenhuizen ». Le groupe recense toutes les formes d’habitat collectif en Belgique. Il a ainsi relevé plus de 110 projets déjà concrétisés : 45 en Flandre, 15 à Bruxelles et 50 en Wallonnie et plus de 40 sont en développement. « La cohabitation a le vent en poupe », souligne Luc, « nous le voyons lors des journées d’information, mais le démarrage reste très difficile, il faut vraiment s’accrocher. Le pouvoir politique devrait mieux soutenir ces projets. Nous avons entamé avec la Fondation Roi Baudouin une recherche pour définitr éléments clefs et solutions. Le cohousing n’existe en effet pas encore au niveau légal. On ne peut se référer à rien en cas de problème. Reste le problème du préfinancement. Pour La Grande Cense, Netwerk Vlaanderen a délivré un prêt sans intérêt pour couvrir la période entre l’achat de la propriété et l’accord des copropriétaires. Et Luc d’ajouter : « Mon engagement personnel dans ce projet de cohabitation nourrit ma pratique de psychiatre, en m’amenant à accorder plus d’attention à la connexité entre personnes et entre générations, à l’importance d’être de quelque part ». Dans la ferme de La Grande Cense, Luc va habiter un logement au rez-de-chaussée, sa mère de l’autre côté de la cour intérieure et son beau-frère s’installe au premier étage.

Pas de fantasme préalable, mais un projet séducteur

Au Pic au vent à Tournai, la démarche est inverse, c’est l’habitat qui a défini le profil des habitants. Les architectes ont parié sur une approche écologique et responsable qui a séduit les futurs propriétaires. Le groupe d’habitants est peut-être plus homogène qu’un groupe préformé car ils ont adhéré à un projet existant, sans développer de fantasme préalable.

La volonté des deux architectes tournaisiens était en effet de généraliser et de rendre moins chère la construction passive en la mêlant à l’habitat groupé.

Vingt maisons sont déjà sorties de terre. Elles sont mitoyennes mais sans les problèmes acoustiques, et sont passives, c-à-d, sans installation de chauffage. Une isolation renforcée, une parfaite étanchéité à l’air et le renouvellement de l’air par un système de ventilation avec récupération de calories permettent de réduire les dépenses énergétiques de près de 80% par rapport à une maison neuve traditionnelle, pour un prix de construction équivalent.

Les propriétaires sont sensibilisés à l’écologie, mais ne présentent pas de profil-type particulier. Il s’agit aussi bien de jeunes couples avec des enfants soucieux d’investir dans une maison respectueuse de l’environnement que de personnes pensionnées désireuses de vivre en copropriété. Ici, chacun possède son espace, sa sphère privée, mais se partage la même centrale d’énergie à base de panneaux solaires. Tous peuvent aussi se retrouver sur le vaste espace vert autour duquel sont bâties les maisons, et sont amenés à se rencontrer à l’occasion de l’assemblée des copropriétaires. D’excellents prétextes pour développer des relations de bon voisinage.

Partager, c’est élargir ses horizons

Pic au vent

Ingrid, Gaétan et leurs trois enfants furent les premiers à s’installer au Pic au vent, trois semaines après la naissance de leur petit dernier . Ce qui les a séduits dans le projet ? L’aspect écologique – l’espace clos pour les enfants, un espace sécurisé mais pas fermé ! – La lumière dans la maison – la convivialité inhérente à ce type d’habitat, le partage d’idées et de tâches qui ouvrent les horizons. « Avant de rentrer dans nos murs, nous nous sommes réunis de façon tout à fait informelle. Une manière de faire connaissance et… de manger des crêpes ensemble », précise Ingrid. Ces assemblées générales sont le théâtre d’un festival de questions : comment chacun voit-il l’espace commun ? « Pour le parc, nous verrions bien des jeux pour les enfants, des bancs pour bavarder et recréer une ambiance village propice aux rencontres ». « A quel rythme allons-nous organiser nos réunions communes? » Bien sûr, LA question qui revient en filigrane à tout moment, comment concilier, combiner, aménager l’intérêt collectif et les désirs personnels?

Des joies mais aussi des contraintes

Pour Louise-Marie et Christian, la cinquantaine dynamique, faire le choix d’habiter là, c’est avant tout un nouveau projet de couple dans un intérieur zen, chaleureux et lumineux. Des murs arrondis, un petit plan d’eau avec nénuphars et un petit pont, symbole d’ouverture avec l’extérieur. Enfin,… des murs épais insonorisés (ndlr : Christian est chanteur pour enfants).

Pic au vent

« Après 8 ans de vie commune, nous voulions vivre un projet qui colle à nos valeurs : convivialité, respect de la planète, faire rimer intimité et humanité ». Louise-Marie et Christian s’impliquent dans la vie de l’éco-quartier, aiment les rencontres et les opportunités spontanées comme celle de prendre l’apéro avec les voisins sur le gazon du parc. Mais ils sont conscients que pour maintenir harmonie et convivialité, il faut s’oragniser. « Pour préserver notre intimité, nous avons dû émettre nos propres règles. Les petites filles de 4 et 3 ans d’Ingrid et de Gaétan se baladant partout, nous leur avons demandé de sonner avant d’entrer et nous avons installé un petit caisson en bois à l’entrée pour qu’elles puissent atteindre la sonnette. Quand on peut les accueillir, on les accueille avec plaisir, mais en mettant nos limites. Nous avons dû récemment intervenir auprès d’enfants du voisinage qui roulaient à vélo sur la pelouse du parc fraichement plantée et leur expliquer que ce parc, c’est notre jardin, qu’on ne peut y rouler à vélo. La difficulté, c’est que nous voulons tous garder le quartier ouvert mais que, si les choses sont claires entre nous, les personnes extérieures ne connaissent pas nécessairement les règles établies ».

Personnalités trop rigides s’abstenir

Vivre ensemble, même si l’on s’est choisi et que l’on a chacun son espace de vie, demande un réel engagement et une ouverture à l’autre. Marie, 33 ans, qui vit seule avec ses deux enfants de 6 ans et 4 ans, s’est sentie rassurée lorsqu’elle s’est installée à La Grande Cense. « Cet endroit me donne un sentiment de sécurité et mes enfants profitent du soin et de l’attention que nous nous accordons tous mutuellement. Mais attention, il s’agit de tout autre chose que d’une garde des enfants bon marché et de la liberté de sortir tous les soirs. Le cohousing ne fonctionne que si chaque individu respecte un ensemble de règles de base, qui valent bien sûr pour mes enfants. »

Vivre en habitat groupé requiert sociabilité, dialogue et respect de l’autre.

« Avant de déménager au Pic au vent, nous étions déjà très proches de nos voisins », précise Louise-Marie. « Certains amateurs se sont présentés, ont visité des maisons et ont fait marche arrière trouvant que la mitoyenneté pouvait entrainer trop de promiscuité », souligne un des architectes de l’éco-quartier. « Ils ont dit qu’ils n’avaient pas envie de partager, ou que les frontières entre l’individuel et le collectif risquaient d’être trop floues ».

L’enjeu, c’est de mettre en place des outils de communication pour apprendre à s’entendre et gérer les conflits inévitables, propres à tout groupe humain. D’où l’importance de chartes qui définissent la vie en commun et les limites à la liberté personnelle.

Des projets qui avortent et des espoirs parfois déçus

Si la demande se multiplie tant à la campagne qu’en ville, tous les projets d’habitat groupé n’aboutissent pas. Mounia, 40 ans, en témoigne, qui cherche depuis plusieurs années ce type d’habitat à Bruxelles. « Avec 4 autres familles, nous avions trouvé un immeuble à Schaerbeek, divisible en 4 plateaux. Nous avions chacun un budget bien défini que nous ne pouvions dépasser. Les mois ont passé et le projet a capoté. La commune ne nous a pas soutenus et le propriétaire a préféré vendre plus cher à une société qui utilise l’immeuble comme entrepôt pour panneaux solaires ! » Mounia, qui vit en appartement avec son mari et ses deux enfants, ne lâche pas prise mais est un peu amère. Selon elle, le problème, pour un groupe qui veut vivre en habitat groupé à Bruxelles, c’est avant tout de trouver un terrain, puis de concilier projets de vie, budgets, plannings d’investissement et timing. Car, plus le projet s’annonce long à réaliser, plus grandissent risques de divorce, de déménagement ou de changement professionnel.



www.36-8.be
L’association Habitat et participation crée des liens entre les projets d’habitat groupé et informe sur les démarches administratives ou juridiques à suivre.
www.habitat-participation.be
http://utopiabrussels.wordpress.com

Article paru dans le Psychologies 
www.psychologies.com


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