Quand Valérie Lemercier se met dans la peau de Céline Dion

Avec Aline, Valérie Lemercier signe sa sixième réalisation. Un projet ambitieux puisque ce film est une fiction librement inspirée de la vie de Céline Dion… qui laisse ses fans sans voix ! En attendant sa sortie au cinéma le 11 novembre, l’actrice nous emmène dans les coulisses pour nous révéler sa fascination pour la chanteuse et sa passion pour la mise en scène dans une symphonie d’émotions…

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D’où vient votre fascination pour Céline Dion ?

Je ne me l’explique toujours pas, j’écoutais souvent ses chansons, principalement celles écrites par Jean-Jacques Goldman. Je ne connaissais pas bien sa vie ni le reste de son répertoire. Et en décembre 2016, quand je l’ai vue, comme des millions de gens, faire ses premiers pas sans René, je me suis beaucoup identifiée. J’ai été touchée par son courage. Sa solitude. J’ai dit à la radio le jour de la sortie de MARIE-FRANCINE que mon prochain sujet serait elle, sans le penser sérieusement. Le soir-même, Emmanuelle Duplay (la chef décoratrice du film) qui avait entendu l’émission, m’a dit qu’elle voulait absolument le faire. Je me souviens très précisément que c’est son enthousiasme qui m’a permis de passer à autre chose et d’envisager sérieusement de le faire. Au-delà de son talent, la franchise de Céline me fascine : elle est un livre ouvert, comme elle le dit elle-même, elle se comporte avec le public comme s’il était sa propre famille. En allant la voir en concert à Bercy, j’ai pu mesurer la ferveur autour d’elle, et tant de gentillesse de la part de ses fans. Je me suis sentie chez moi.

En quoi vous sentez-vous proche d’elle ?

Parce que, dans des proportions bien moindres bien sûr, j’ai passé aussi une grande partie de ma vie sur scène, dans des théâtres, des Zéniths, des loges… Je connais les longues tournées, les repas avalés devant un miroir, l’obligation de remplir les salles, d’avoir tous les soirs une voix, un corps qui ne vous lâche pas. Je connais la chaleur du public suivie de la solitude de l’after show. Née dans un milieu agricole, mes deux grands-mères ont eu chacune neuf enfants, nous étions cent cinquante à table au déjeuner du jour de l’an chez mes grands-parents, mon père nous faisait réviser tous les prénoms avant de partir. Comme chez les Dion, chacun d’entre nous devait monter sur une chaise pour réciter, chanter ou jouer d’un instrument… Là où j’aimerais lui ressembler, c’est qu’elle twiste tout ce qui ne va pas en chose positive. Elle se livre, elle parle d’elle, de sa vie, donne à son public ses joies et ses peines, ce que je n’ai jamais su faire.

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Comment avez-vous écrit le scénario ?

J’ai commencé à écrire après un an de recherches et de lectures. Au début, je l’appelais Céline. Au bout d’une soixantaine de pages, Brigitte Buc, avec qui nous avions déjà écrit PALAIS ROYAL ! est arrivée sur le projet et m’a convaincue de changer les prénoms. Ça a tout débloqué. Grâce à Aline, on s’est autorisées à composer avec le réel, inventer des détails comme une bague de fiançailles dans une glace, les vieilles chaussures que lui prête sa mère lors de sa toute première audition qui expliquent les milliers de paires qu’elle a plus tard dans son dressing… Mon instinct me guidait et une pochette de 33 tours de Céline pas loin de l’ordinateur, à qui je demandais souvent si elle était d’accord. J’en rêvais la nuit. Thérèse relisait le scénario, m’engueulait parce que l’horaire de spectacle n’était pas exactement le bon ! René, en revanche, était toujours content dans mes rêves.

Pourquoi était-ce plus simple avec Aline ?

Mais parce qu’il n’y a pas deux Céline Dion ! Elle est bien vivante et n’a jamais été aussi célèbre. D’ailleurs, quand certains techniciens m’appelaient Céline par erreur, je rougissais. Il me fallait construire cette histoire avec le maximum de précision, mais avec un pas de côté, à quelques mètres, respectueux d’elle… Pour le tournage au Québec, je voulais bien tourner n’importe où, sauf à Charlemagne, son village natal. Il a, à un moment donné, été possible de tourner dans la propre maison du couple qui avait été revendue mais je préférais ne pas fouler sa propre vie. On nous a juste prêté deux fauteuils qui avaient été les siens, et sur lesquels j’osais à peine m’asseoir !

Pourquoi avez-vous choisi d’axer le film sur son histoire d’amour ?

C’est le cœur de l’histoire de Céline. Avec René, ils se sont trouvés. Elle arrive dans sa vie au moment où il est prêt à abandonner sa carrière de producteur. Il la révèle et elle le sauve. Il a hypothéqué sa maison pour produire son premier disque. On souhaite à tous les artistes d’avoir un tel partenaire. Il paraît que c’est bien dans un couple quand l’autre ne fait pas le même métier, mais toutes les chanteuses aimeraient avoir un «René » à ses côtés. On s’est moqué de leur couple, on a raillé leur différence d’âge, les FIV qu’ils ont dû faire pour avoir des enfants… on l’a vu comme celui qui la faisait travailler. Mais il avait de grandes visions et elle beaucoup d’ambition aussi. Quelle artiste, et même quelle femme en général, est restée toute sa vie avec le même homme ? J’aime les couples pas assortis, les amours empêchés qui finissent par l’emporter. Au fond, je suis très romantique et il n’y a que les histoires d’amour qui m’intéressent. Même si, pendant longtemps, j’ai cru que cela ne m’était pas destiné. Je pensais que je n’étais pas sur terre pour les histoires d’amour. Petite, on ne me disait pas que j’étais jolie, donc j’ai choisi d’être drôle : faire rire est devenue mon identité. Les relations amoureuses, les petits mots d’amour, c’était du chinois pour moi. J’ai compris plus tard, tout de même…

Aline n’est pas la comédie que certains attendaient de votre part…

Je ne sais pas ce que les gens attendent. Mais sans doute pensent-ils que je vais me moquer. Ce qui ne m’a jamais jamais effleurée. C’est un film au premier degré et je suis aussi très premier degré. Je ne me sens jamais obligée de sortir des vannes, à la ville comme dans un film. La comédie qui s’y trouve – car il y en a tout de même – vient des situations, des décalages fous entre la petite fille non désirée dormant dans un tiroir et sa vie de grande star planétaire, mais jamais de la parodie. C’est un grand destin, un conte de fée comme il y en a peu. C’est un film de princesse sans princesse, mais avec de belles robes, des paillettes, des cheveux qui volent dans la lumière et des décibels. Un film sur une athlète royale… Ce qui comblait mon goût du déguisement, du décorum et de la démesure. C’est elle, la «vraie» Céline, qui est un peu un clown, qui est la première à s’auto-parodier et même, paraît-il, à donner ses petits tuyaux de gestuelle à ceux qui cherchent à l’imiter. Le film est peut-être plus sérieux qu’elle-même finalement.

Comment incarner Céline Dion ?

En ne cherchant pas à l’imiter. D’ailleurs, je n’ai pas cherché à avoir un accent très prononcé. Au tournage, je m’étais parfois laissée un peu trop aller et, ensuite, je me suis postsynchronisée, sous le contrôle de Geneviève Boivin (une sœur d’Aline). Les séquences de concert ont été tournées en France, Palais des Congrès, Palais des Sport ou théâtres de la banlieue parisienne : jamais je n’aurais osé chanter au Québec devant des figurants québécois avec mon accent pourri ! Avec tout le travail de préparation, j’ai eu peu de temps pour répéter le rôle, et j’ai beaucoup improvisé. J’apprenais le labial la veille, un peu à l’arrache. Heureusement, j’ai été très aidée par l’équipe qui comprenait que je devais être complètement dedans lors des séquences chantées. L’emploi du temps était tellement fou, les week-ends remplis de repérages, d’essayages, heureusement je dormais tous les jours pendant l’heure du déjeuner, ces siestes m’ont sauvée. Mais, pour la première fois de ma vie, j’avais hâte que le tournage commence pour pouvoir la jouer.

Mais qui chante alors ?

Ce n’est pas Céline… En fait, c’est l’incroyable Victoria Sio qui a fait toutes les covers. Là encore, c’était un choix délibéré de faire un pas de côté, de raconter Aline Dieu et pas Céline Dion. Victoria m’a épatée par l’intelligence de ses interprétations. Comme j’ai pris la liberté de jouer avec la temporalité de certaines chansons, de les faire chanter à Aline plus tôt ou plus tard par rapport à la carrière de Céline, Victoria pouvait, ainsi, coller au plus près des émotions de chaque séquence. Dans le film, Pour que tu m’aimes encore n’est pas à la bonne date, mais le moment où elle est placée résonne bien avec la narration. Et pour TITANIC, nous avons enregistré une cession avec des vraies cordes, alors que, comme beaucoup le savent, c’est une maquette qui a servi pour le film.

Comment avez-vous jonglé entre la vérité et la fiction ?

Disons que j’ai rendu plus «cinématographiques» des faits réels : par exemple, la grossesse de Céline a réellement été annoncée à René lors d’un repas dans la cuisine, mais j’ai trouvé mignon qu’Aline trace les lettres «BB» dans la purée car ce genre de fantaisies ressemblent à Céline. J’ai également glissé des détails véridiques que seule Céline pourra comprendre. Cependant, j’invente sa fugue dans les rues de Las Vegas. À chaque fois, je me disais : «comment inventer le plus fidèlement possible ?» En revanche, pour tout ce qui concerne le Québec, nous avons collé le plus possible à la réalité, en découvrant certains décors, tels que la sécheuse, le grand four dans la cuisine chez les parents d’Aline les comédiens québécois ont été très émus. Ils retrouvaient l’atmosphère exacte de leur enfance.

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Et du côté de la mise en scène ?

J’avais un grand sujet donc il fallait que la mise en scène soit à la hauteur. Contrairement à moi qui n’ai jamais rien confié de ma vie, Céline a tout donné, tout partagé, et elle a raison : la forme du film devait donc célébrer sa générosité et son élégance. J’ai travaillé avec toute l’équipe de MARIE-FRANCINE : ils me connaissent par cœur maintenant, savent que je peux trouver des idées à la dernière minute et ne s’en formalisent pas. C’est la première fois, c’est vrai, que j’étais aussi attachée à la mise en scène et beaucoup de plans étaient déjà dans le scénario. Je savais que j’allais ouvrir le film sur ce plan de la chanteuse qui pleure dans son grand lit blanc avec un casque sur les oreilles : d’abord la caméra sur son visage puis le plan s’ouvre sur les kleenex, ses enfants qui dorment avec elle. La maison d’enfance d’Aline, elle, a été fabriquée en studio exprès pour obéir à la séquence écrite où Aline passe par la fenêtre avec sa robe de mariée trop imposante. Certains trucs de mise en scène sont tout bêtes : quand Aline est à l’école, nous avons tourné avec un très grand bureau, une grande trousse… Comme pour la séquence de dédicace quand elle est encore petite : on a fabriqué de très grands disques. Tout a été surdimensionné pour que j’aie l’air petite alors que je fais tout de même un bon mètre soixante-dix-sept  ! La vraie «difficulté» a été peut-être de faire passer les ellipses de temps. Le film commence en 1932 et va jusqu’à 2016… Et c’est bizarrement beaucoup plus vers LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN de Jean-Pierre Jeunet que je suis allée lorgner plutôt que vers d’autres biopics. Parce que je voyais ce film comme une fable.

Vous jouez Aline dès l’âge de 5 ans ! Les effets spéciaux sont impressionnants…

Nous avons longtemps cru que ce serait impossible. Lors de la préparation du film, mon chef opérateur me disait : «Écoute, tu devrais jouer cette histoire au théâtre, ce serait plus simple !» Car je voulais que ce soit mon corps en entier à l’écran, même dans la scène où Aline chante, à cinq ans, au mariage de sa sœur. L’équipe des effets spéciaux a fait un travail remarquable. Au lieu de leur envoyer les scènes isolément, comme c’est souvent le cas, on a tenu à les inclure dès le début du processus et leur montrer le film en totalité pour qu’ils sachent me proportionner en fonction de la logique des séquences, et des âges successifs. De la même façon, je leur ai demandé, à eux aussi, de m’inclure dans leurs séances de travail. Pour ma silhouette, je portais aussi de multiples gaines sous mes costumes, comme de faux petits seins adolescents sur ma poitrine ultra comprimée par des bandages ultra serrés. J’ai aussi décollé mes oreilles et porté d’autres dents jusqu’à 18 ans. Pour la «ressemblance», avant même la préparation, je m’étais dessinée chez moi au crayon une racine de cheveux plus basse. En réduisant mon front au maximum, j’ai pu commencer à voir apparaître un peu Céline.

Vous n’avez jamais cherché à la rencontrer ?

J’aurais pu. On me l’a proposé à plusieurs reprises. Elle est très occupée, très entourée, je sais que je l’aurais vue cinq minutes avant un show, pendant un défilé, à quoi bon… Elle-même n’a pas souhaité lire le scénario. J’ai fait mon truc dans mon coin. Pour elle. J’espère, juste, qu’elle ne se sentira pas trahie. J’ai trouvé impensable, par exemple, de tourner une scène où elle revient de Vegas chez elle en hélicoptère car Céline, justement, a déclaré à la télévision que jamais elle n’aurait réveillé ses voisins en atterrissant avec un hélico. Elle faisait deux heures de voiture tous les soirs, donc pas question de faire autrement sous prétexte d’une séquence à grand spectacle.

Votre film est singulier…

C’est tout de même un biopic classique, à la grosse différence qu’elle est toujours vivante. J’avoue que j’avais très peur de la réaction de nos coproducteurs québécois. Pour eux, après tout, je n’étais que vaguement la femme du dentiste dans LES VISITEURS, et voilà que je touchais à Céline, leur monument national ! Ils sont entrés dans la salle de projection presque à reculons. Mais en sortant : certains qui connaissaient bien René m’ont appelée et dit l’avoir retrouvé, et que j’avais vraiment cerné leur rapport de couple, leur complicité. D’ailleurs, quand on a monté le film – je monte toujours dans l’ordre de l’histoire – j’ai mis un temps fou à monter les deux premiers tiers car je savais qu’on allait arriver à la mort de Guy-Claude et je le redoutais. Ce jour-là je suis rentrée très triste chez moi. Ça y était : il était parti.


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