esmeralda de belgique

Rencontre avec Esmeralda de Belgique

Conférencière, écrivaine, journaliste, activiste, la princesse a dû faire exploser la bulle de protection dans laquelle elle a grandi, pour se frotter aux problématiques les plus en pointe de nos sociétés : le climat et le droit des femmes. Afin d’apporter sa pierre à l’édifice du monde de demain.

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Elle porte le nom d’une vallée vénézuélienne, La Esmeralda, dont les roches aux reflets verts furent prises pour des émeraudes par les colons. Il s’agissait en fait d’une pierre semi-précieuse mais son éclat envoûta Léopold III lors d’une expédition en 1952. À son retour, il confia à sa deuxième femme, Lilian Baels (princesse de Réthy), qu’il souhaitait ainsi nommer leur éventuelle prochaine fille… « J’ai d’ailleurs un petit morceau de cette roche », raconte le sixième et dernier enfant de l’ancien souverain des Belges, demi-soeur de Baudouin et Albert II.

Bien avant sa naissance, Esmeralda de Belgique avait donc un lien fort symbolique avec cet « ailleurs » sud-américain si riche d’apprentissages et de perspectives différentes, dont lui a tant parlé ce père reconverti en explorateur après son abdication suite à la Question royale. Mariée depuis 1998 au scientifique britannique et hondurien Salvador Moncada – rencontré aux congrès organisés par ses parents à Argenteuil -, mère de deux enfants qui se sentent « citoyens du monde » avant tout, elle vit dans la très cosmopolite capitale anglaise. À 64 ans, elle y poursuit ses combats et prolonge ceux de son père. Elle préside entre autres le Fonds Léopold III pour l’Exploration et la Conservation de la nature, qui cofinance une vingtaine de projets par an, menés par des chercheurs belges à l’étranger. Plus largement, son idée est « d’amplifier les voix des femmes, en Belgique (elle soutient notamment l’association Succès, fondée par Betty Batoul, écrivaine belgo-marocaine élue Femme de Paix en 2012) comme partout ailleurs, en Amazonie notamment, et de les soutenir ». « J’ai été bouleversée par le témoignage d’une jeune Équatorienne dont je suis la communauté en matière environnementale : elle a été abusée pendant des années et elle fait le parallèle entre la façon dont la terre mère et les femmes sont violentées.

Esmeralda de Belgique

© Emmanuel Laurent

C’est vrai que beaucoup d’abus sont commis par des travailleurs embauchés par les entreprises qui saccagent la forêt pour extraire des minerais ou du pétrole. » La militante d’Extinction Rebellion vient de cosigner un nouveau livre on ne peut plus d’actualité : Quel monde pour demain ? (lire encadré). « La pandémie est une tragédie », dit-elle. « Mais elle nous a montré qu’on peut prendre des mesures très vite. L’argent est là s’il y a une volonté politique pour dire que la crise climatique est aussi grave que la crise sanitaire, pour organiser une transition juste, sans laisser des gens sans emploi. »

Vous avez grandi au château d’Argenteuil, où vous avez aussi été scolarisée. Comment avez-vous vécu cette solitude forcée ?

Esmeralda de Belgique : J’ai certainement beaucoup regretté de ne pas avoir de contact social avec des jeunes de mon âge. Mais je ne m’en rendais pas tellement compte au moment même puisque j’étais dans la joie de vivre dans un endroit magnifique, un parc enchanteur, avec ma famille. Cela a commencé à me manquer petit à petit. J’étais toujours la plus jeune, puisque j’ai une soeur de six ans mon aînée et j’avais un frère de quinze ans mon aîné. Cela a des avantages parce qu’on s’occupait beaucoup de moi, j’étais un peu gâtée. Mais jamais je n’allais passer le week-end chez une amie ou même des cousins. C’était exclu. J’ai vécu comme dans une bulle. Par contre, je lisais les journaux qui critiquaient ma famille. De cela, je n’ai pas été protégée. Et on en parlait beaucoup à la maison.

Enfant, vous rêviez de quoi ?

E de B. : Je rêvais de devenir comédienne, j’ai toujours adoré le théâtre et le cinéma. À la maison, j’écrivais souvent des pièces que je jouais devant ma famille. Puis mes parents m’ont expliqué que c’était un métier très difficile, avec beaucoup de compétition. Et j’ai renoncé. Mon second rêve était de devenir journaliste. Encore cette passion pour l’écriture. J’avais l’idée de faire du grand reportage autour du monde… Mes parents avaient été maltraités par la presse, mais ils ne m’en ont jamais empêchée. Mon père m’a juste dit que si je restais en Belgique, je ne devais pas écrire sur la politique belge.

Vous parlez souvent de votre relation forte avec votre père. Or cela devait être rare à cette époque, des pères qui s’investissaient autant, non ?

  1. de B. : Peut-être justement parce que j’étais la dernière de ses enfants. Et il avait plutôt l’âge d’être mon grand-père. Il se reprochait de ne pas avoir passé assez de temps avec ses aînés, puisqu’il était alors souverain, et j’ai eu cette chance qu’il ait plus de temps pour moi et qu’il ait vraiment envie de s’investir. Il suivait mes devoirs, il m’aidait, il m’enseignait un maximum de choses. Il n’était pas du tout strict. Ma mère était plus intransigeante. Lui était à l’écoute, prêt à me donner la parole. Je savais que je pouvais toujours aller le voir pour lui parler d’un problème.

Que vous a-t-il transmis ?

  1. de B. : En toute priorité, son amour de la nature et de l’environnement. Dès les années 30, comme jeune homme, il prononçait des discours disant que l’impact de l’Homme sur la nature était très préoccupant. J’ai été élevée dans ce souci de préservation de la biodiversité, ce qui ne peut se faire qu’avec les populations locales vivant en harmonie avec la Terre. Mon père avait beaucoup d’admiration pour ces communautés. Sa curiosité à l’égard des autres cultures était énorme. Il me rappelait tout le temps de sortir de notre vision du monde eurocentrique

Avec votre mère, le rapport a été plus conflictuel ?

  1. de B. : Quand j’étais enfant, j’étais très proche d’elle. Elle était extrêmement affectueuse et chaleureuse avec moi. Adolescente, cela a viré à l’affrontement. Une mère a souvent des attentes et souhaite que sa fille réalise ce qu’elle n’a pas pu accomplir. Les projections sont difficiles. Ma mère avait un caractère extrêmement fort. Je dois lui rendre hommage pour cela : elle m’a montré qu’il fallait prendre les femmes en compte. Elle m’a donc aussi enseigné beaucoup de choses. Mais la relation était plus compliquée, on se heurtait. J’étais en rébellion à son égard.
Esmeralda de Belgique

© Emmanuel Laurent

Votre côté rebelle, il s’est exprimé comment à l’adolescence ?

  1. de B. : J’aurais pu partir, fuguer… mais cela n’a pas été le cas. De par les circonstances, mes rebellions ont été calmes et concernaient des choses plutôt triviales : pouvoir mettre des jeans et pas les vêtements que ma mère m’achetait, me couper les cheveux, écouter les Stones et les Beatles plutôt que de la musique classique… J’ai vécu dans un monde à part, trop protégé, mais ce n’était pas une prison non plus. Il y a eu de très beaux moments. Beaucoup de gens rêveraient d’avoir l’enfance que j’ai eue. Ce serait malvenu de se plaindre.

Comment s’est passée la transition entre la vie en vase clos à la maison et la vie d’étudiante à l’université dès 18 ans ?

  1. de B. : Quand je suis arrivée à Saint-Louis, en droit, à Bruxelles, le choc a été dur : je me suis retrouvée du jour au lendemain avec des centaines d’étudiants en ne connaissant personne. Avec des regards dans lesquels je lisais : « On ne va pas s’approcher d’elle ». Ou d’autres qui étaient juste curieux de voir qui j’étais. Donc rien n’était naturel, tout était faussé. Après une semaine, j’étais déprimée et découragée. Mais mon père m’a dit que je devais persévérer. Après, cela a été. Non seulement j’ai aimé suivre les cours, mais j’ai adoré être enfin avec des gens de mon âge.

Vous avez ressenti le besoin de rattraper le temps perdu ?

  1. de B. : Absolument. J’avais la volonté de sortir, de m’amuser. Malheureusement, ce n’était pas aussi simple, c’était même impensable le plus souvent pour ma soeur et moi. C’est devenu de plus en plus difficile à vivre. Je ne pouvais pas aller en boîte de nuit, je ne pouvais sortir que chez certains amis. Quand on est dans un tel système où les choses sont interdites, on trouve toutes les solutions pour les faire quand même. Donc, j’allais à une soirée puis de là, on allait en boîte. Mon père insistait aussi pour que j’aie un garde du corps, et j’ai passé mon temps à essayer de le semer.

Avez-vous un jour réussi à vous fondre dans la foule des étudiants ?

  1. de B. : Je me suis fait des amis sincères. Après les candis en droit, j’ai étudié la communication sociale à Louvain-la-Neuve, mais je ne pouvais pas avoir de kot bien sûr. Le fait de vivre dans une bulle, de manière différente des autres étudiants, ne me satisfaisait pas. Donc ma seule idée a été de partir à l’étranger pour enfin connaître l’anonymat et la liberté. Je suis allée à Paris après mes études. Une vraie bouffée d’oxygène. Je ne rejetais pas ma famille, je rentrais d’ailleurs le week-end, mais je pouvais commencer à me construire réellement.

Vous avez dû prouver votre valeur plus que les autres ?

  1. de B. : Tout ce que j’ai toujours voulu, c’est d’être une journaliste « normale ». Les gens me disent facilement que mon nom ouvre toutes les portes. C’est vrai, mais cela en ferme aussi beaucoup. Cela nous arrive déjà énormément en tant que femmes, de devoir prouver qu’on est aussi valables que les hommes, dans tous les métiers. Alors, si on vient en plus d’un milieu privilégié… On m’a dit souvent que ce n’était pas moi qui écrivais mes articles. Ou que j’écrivais juste pour m’occuper, par hobby. C’est dur à entendre.

Du journalisme à l’engagement pour le droit des femmes, quel a été le déclencheur ?

  1. de B. : J’ai vécu une relation avec un journaliste plus âgé que moi à Paris. Il était très abusif en paroles et parfois en gestes. Je l’admirais et j’avais le sentiment d’avoir fait quelque chose de mal pour mériter ces abus. Comme cela arrive malheureusement à beaucoup de femmes. C’est de la manipulation, c’est très progressif, donc on ne s’en rend pas compte. Quand je suis parvenue à sortir de cette relation, j’ai voulu aider les autres femmes. J’en ai rencontré un grand nombre, victimes de vraie violence mais aussi d’autres, comme je l’avais été, sous l’ascendance patriarcale, machiste d’un pervers narcissique. Je me suis rendu compte que l’abus par les mots et les sarcasmes est très dévastateur. En tant que journalistes femmes, nous avons toutes vécu soit le paternalisme, la forme gentille, soit le harcèlement, les phrases déplacées…

Comment vous en êtes-vous sortie ?

  1. de B. : Ce n’était pas facile parce qu’on travaillait ensemble. Bien sûr, je n’ai rien dit à ma famille. J’en ai parlé notamment à une amie très proche, avocate, qui a été essentielle pour m’aider. Mais cela m’a hantée très longtemps, même si cette personne ne m’a pas harcelée par la suite. Le simple fait de savoir que cet homme était encore là quelque part était très difficile pour moi.

Vous militez au sein du mouvement écologiste qui prône la désobéissance civile Extinction Rebellion (elle a été arrêtée à Londres en 2019 suite à une manifestation, NdlR). Écrire des livres ne suffit pas ?

  1. de B. : Dans toute l’Histoire, ce ne sont malheureusement pas les gens bien élevés et dociles qui ont changé les choses. Il faut rappeler qu’autrefois, l’esclavage était légal, tout comme le fait que les femmes ne votaient pas. Et il y a encore des hommes qui lapident des femmes en toute légalité aujourd’hui. Se rebeller de manière non-violente contre des lois qui ne sont pas satisfaisantes me semble important. Il y a de plus en plus d’actions en justice contre des gouvernements ou de grosses entreprises, et qui ont gain de cause. Certaines entreprises se livrent à des actes criminels en polluant les sols, les rivières, l’air…, au mépris de la santé des habitants. Tous les combats sont nécessaires pour que le gens prennent conscience de la gravité et de l’urgence de la situation.

Vos enfants, Alexandra et Leopoldo, ont 22 et 20 ans. Comment imaginez-vous leur monde pour demain ?

  1. de B. : J’ai peur (silence). C’est sûr qu’il va y avoir d’autres pandémies si on ne règle pas la crise climatique puisque les deux sont liés. Il y a aussi des risques de plus en plus grands de conflits, en lien avec la crise climatique, le manque d’eau et la migration qui va en découler… En plus, l’accès à l’emploi est de plus en plus difficile, même quand on est diplômé. Ma fille a terminé la biologie marine et veut faire la médecine maintenant. Mon fils étudie les sciences politiques et je pense qu’il voudrait être journaliste. Je m’en fais évidemment pour eux, pour le monde dans lequel ils vont vivre. On a vu beaucoup de solidarité au moment de la pandémie mais on a besoin de travailler pour que cela continue et qu’on n’ait pas peur de l’autre.

Quelle mère êtes-vous ou avez-vous été avez eux ?

  1. de B. : Quand ils étaient petits, notre maison était toujours pleine d’amis. J’ai voulu qu’ils connaissent ce partage, cette joie, ce bruit que je n’avais pas vécus. Mon mari est britannique et latino-américain. Pour mes enfants, qui parlent anglais, espagnol et français, ces différences de culture sont super enrichissantes. Leurs amis viennent de tous les pays et de tous les milieux. Ils disent qu’ils se sentent citoyens du monde. Ils sont à l’aise partout. Quand ils voient des membres de ma famille et qu’ils vont au palais, ils ne sont pas impressionnés. Je suis très fière de ma fille et mon fils. Ils sont engagés et conscients que les choses doivent changer. Ils ne laisseront jamais passer une réflexion sexiste ou raciste. Je vois cela chez beaucoup d’autres jeunes et cela me remplit d’espoir.

Son actu

Esmeralda de Belgique cosigne avec Sandrine Dixson-Declève, co-Présidente du Club de Rome, mais aussi les jeunes militantes pour l’environnement Anuna De Wever et Adélaïde Charlier, un Dialogue entre générations sur la question Quel monde pour demain ?1 « J’admire l’absence de compromission d’Anuna et d’Adélaïde, malgré les critiques terribles qu’elles peuvent recevoir, surtout d’hommes plus âgés. Elles sont exposées mais elles restent déterminées, concentrées, alors quelles pourraient juste profiter de leur jeunesse. Elles ne donnent pas de leçons. Elles ont compris que Sandrine Dixson-Declève comme moi-même sommes dans ce combat depuis très longtemps, les années 60, 70, 80. Cela avance très lentement. Elles demandent la coalition la plus grande possible. Une belle union, un beau cheminement ensemble qui, je l’espère, va continuer. »

  1. Mise en récit par Florence Marot. Luc Pire Éditions. 176 p. 18€.

Article paru dans le Psychologies Magazine.

Crédits Photos :

1 et 3 : Esmeralda de Belgique porte une robe chemise orange sanguine en popeline de coton Max Mara. Mise en beauté avec les produits CHANEL : Les Beiges fond de teint n°B30/Le correcteur de Chanel n°20/Poudre libre n°20/ Les Beiges stick blush n°23/Stylo Yeux waterproof n°20 Espresso/Les 4 Ombres n°14 Mystic Eyes/Mascara Inimitable waterproof noir/ Rouge Coco Bloom n°112 Opportunity.

2 : Ensemble blanc, blazer et pantalon en crêpe de soie Jean-Paul Knott. Top en jersey cognac Max Mara. Stilettos Zara.

 


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