La vie commence à 50 ans

La vie commence à 50 ans

Avant on n’a pas le temps de vivre. Après on en a moins envie, dit-on. Sauf si on prend les devants… Pour certains, la vie commence à 50 ans. Prenez cette Martine qui raconte sur un site consacré aux changements de carrière, qu’elle a tout plaqué après plus de trente ans de carrière chez le même employeur. Elle quitte la grande ville pour s’installer dans sa région natale où elle veut ouvrir une librairie – ce n’est pas ce qu’il y a de plus innovateur, mais soit. Fantastique surtout, sa conclusion : “si mon projet rate, j’aurai au moins essayé”.

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La génération des quinquagénaires baby boomers

Stop, ne cherchez pas, tout est là : “si mon projet rate, j’aurai au moins essayé”. Il est étonnant, dans notre monde surprotecteur, que ce soit une quinquagénaire qui s’exprime ainsi. On aurait plutôt tendance à dire que c’est vers les 25 ou 30 ans qu’on raisonne ainsi : “j’essaie et on verra”. Apparemment, non. A quoi est-ce dû ? A deux choses au moins.

La première, c’est que l’actuelle génération des quinquas, c’est l’arrière-garde des “baby boomers”. Ces gens-là ont tout connu : l’optimisme de la reconstruction de l’après-guerre, le désenchantement de la consommation tous azimuts, mai 68 et le “bif bof” des années septante, le krach boursier de 1987, la chute du Mur de Berlin, les familles recomposées, l’avènement du PC, la bulle internet de 2000, les attentats de New York et maintenant les soubresauts à répétition des marchés financiers.

Faut-il y ajouter la montée du chômage et les charretées entières de pré-pensions, quand il ne s’agit pas de licenciements secs ou de barrières à l’embauche des plus de 50 ans. Pourtant certains résistent, repartent de l’autre pied, prennent des risques : “si mon projet rate, j’aurai au moins essayé”. Sacrée Martine, va !

L’autre raison, c’est celle-ci. A 25 ou 30 ans, on a d’autres priorités. Les jeunes femmes sont nombreuses à avoir l’oeil rivé sur le cadran de leur horloge biologique: “un enfant ? Deux enfants ? Un maintenant et un ou deux autres plus tard ? J’attends et je fais tout ça vers 35 ans ?”

Questions stratégiques, essentielles, vitales, auxquelles la réponse repose partiellement sur la stabilité financière que peut apporter le conjoint – ou le compagnon, comme on dit aujourd’hui. Le risque ? Il est incompatible avec le besoin de stabilité. Bref, pour les grands projets du genre créer sa boîte on verra plus tard. Est-ce si timoré que ça ? Mais non !

A vingt ans, on est trop jeune

En fait, la vie commence à 50 ans. C’est aussi le titre d’un livre qui vaut ce qu’il vaut (1), mais on y trouve des choses intéressantes, ceci par exemple : “je plains les jeunes. Ces lignes les hérisseront peut-être. Je n’en ai cure, ce n’est pas pour eux que j’écris”. Gnangnantisme précoce ? Non. Platon aussi a dit des choses féroces sur la jeunesse. Simplement les jeunes et les quinquas vivent dans deux mondes différents.

A vingt ans on ne mesure pas l’ampleur de cet enfer intérieur que l’on ne parvient qu’à maîtriser avec le temps. Et c’est tant mieux, car “sans cette miraculeuse inconscience, les petits d’homme n’auraient pas le courage de faire leur apprentissage jusqu’au bout”. Cela fait penser à cette remarque d’un homme d’affaires admiratif devant les risques qu’avaient pris deux jeunes types audacieux – ils s’étaient endettés jusqu’au cou – pour lancer leur entreprise : “ils l’ont fait parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible”.

A l’âge mûr, on sait. Ou du moins on mesure mieux. Ce qui n’empêche nullement de prendre l’initative, mais autrement, grâce à l’expérience, la maturité, la sagesse, la patience. C’est vers la cinquantaine “que l’homme amorce ses plus belles réalisations”. L’âge mur, ce n’est pas celui de la retraite, c’est celui des nouveaux défis. On ne peut le nier, certains cherchent surtout à se reposer. “Or il n’y a qu’un seul repos digne de celui qui a 50 ans, celui qui consiste à abandonner une activité pour une autre”, écrit Georges Barbarin. Pas mal, non ?

Il developpe un réseau de chambres d’hôtes à 50 ans

Pierre – prénom d’emprunt, comme pour tous les témoignages dans cette série d’articles – a construit patiemment, tout au long des 35 ans de sa vie professionnelle, une petite entreprise qu’il a cédée à son fils. Aujourd’hui, il n’est plus qu’un des employés de son fils. Saisonnier de surcroît. Il a bien calculé son coup. L’appartement en piteux état qu’il avait acheté à Coxyde et rénové progressivement a pris de la valeur. Il l’a revendu et acheté avec le produit de l’opération un moulin en Sologne dans lequel il a installé quelques chambres d’hôtes.

La chose n’était possible que grâce à la conjonction de deux constats : la saisonnalité de cette activité (touristique) est complémentaire à celle de la petite entreprise (de chauffage) que gère son fils, et ses compétences de bricoleur ont fait des merveilles. Est-ce suffisant ? Si Pierre a réussi c’est parce qu’il a parfaitement mesuré les risques qu’il prenait : “je me suis renseigné en France sur les critères auxquels je devais répondre pour être admis dans un réseau de chambres d’hôtes. Et j’ai suivi une formation en marketing et en communication parce que je ne savais même pas ce que ça voulait dire”.

Octobre à avril en Belgique (au boulot), avril à octobre en Sologne (au boulot aussi), ça vous dit ? Pierre, lui, savoure sa nouvelle vie. Qui n’a rien d’un long fleuve tranquille : “en fait, ce n’est qu’en début et en fin de saison qu’on respire un peu, ma femme et moi. L’été, c’est un sacré boulot, des chambres d’hôtes”.

Il adore ses nouveaux jobs

André, dont nous devons absolument maquiller la trajectoire tant le personnage est connu, a derrière lui une carrière dans l’industrie qui l’a mené au sommet. In tempore non suspecto, c’est-à-dire avant la grande tempête financière de 2008. Un jour, on lui propose une fonction de conseiller. Il hésite. En parle à ses amis : “tu es fou ? Tu as vu où tu es arrivé ? Et tu vas laisser tomber tout ça ?” Sauf qu’un de ses amis lui glisse à l’oreille : “au fond, là où tu es, tu t’emm…, non ?”. Réponse : “au fond ? Oui”. La décision est prise.

Depuis, c’est-à-dire en cinq ans, André a changé trois fois de fonction. Le point commun entre tous ces jobs ? Il ne s’emm… plus! Sa vie, toute sa vie a changé. La chance ? Pas du tout. La compétence ? Oui, inconstestablement. Mais mûrie par le temps. Le déclic est venu du conseil inattendu d’un ami inattendu, mais ce ne fut que le détonateur. La charge, elle, c’était le savoir-faire accumulé par André tout au long de ses années de carrière, mais malheureusement pour son ex-employeur entre quatre murs qui avaient fini par ne plus laisser filtrer la moindre lumière. Dans sa pénombre dorée, André s’emm…

Il n’avait pas eu l’occasion de mesurer au grand air le niveau de compétence qu’il avait atteint ; il ignorait même que cette compétence était recherchée par d’autres. Grâce soit rendue au chasseur de têtes qui l’a approché et à cet ami qui lui a dit : “qu’est-ce que tu attends ? Tu vas rester là à moisir comme un rat mort ?”

(1) Georges Barbarin, “La vie commence à 50 ans », essai, Editions Dangles.


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