Le soleil, notre meilleur ennemi

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Malgré les campagnes de prévention et l’inflation des indices UV sur les flacons des crèmes solaires depuis une vingtaine d’années, le nombre de mélanomes ne cesse d’augmenter en Belgique. Si 93 % des Belges savent que le soleil peut être à l’origine de problèmes de santé et qu’il accélère le vieillissement de la peau, beaucoup continuent à mal se protéger et à négliger de faire examiner leurs grains de beauté par un dermatologue1.

 Par Isabelle Blandiaux

Est-ce le fait d’en être privé durant de longs mois de l’année qui empêche beaucoup de Belges d’adopter à l’égard du soleil un comportement raisonné ? Selon une récente enquête, 1,72 % de nos compatriotes refuse de rentrer de vacances sans bronzage, toujours jugé très attractif. Et ils sont 18 % à croire qu’il n’est plus nécessaire d’appliquer une protection solaire lorsqu’on est déjà bronzé, tandis que 63 % pensent qu’un SPF 50+ est réservé aux profils à risque. « Nous ne disons pas qu’il faut fuir le soleil, qui apporte beaucoup de bien-être et permet au corps de synthétiser sa dose quotidienne de vitamine D (une exposition des avant-bras de 30 minutes environ suffit) », précise le docteur Nathalie Rooseleer, dermatologue vice-présidente d’Euromelanoma Belgique2 et consultante au CHU Saint-Pierre. « Mais le bronzage est une tentative de protection insuffisante de la peau puisque l’exposition solaire devient cancérigène si on en abuse. L’idée, c’est de s’exposer progressivement, prudemment pour que ce soit bénéfique. Tout dépend évidemment du type de peau, mais à part les Méditerranéens à la peau mate ou les Africains, tous ceux qui ont une peau plus claire, y compris métissée avec des cheveux foncés, doivent se protéger avec minutie dès la petite enfance. »
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Life Magazine : les chiffres de la mortalité liée au cancer de la peau et le nombre de cas de mélanomes ne diminuent pas en Belgique. Faut-il en conclure que les messages de prévention sont inefficaces ?

Nathalie Rooseleer : Il y a encore trop de personnes qui prennent des risques par rapport à l’exposition au soleil. Et les bénéfices de la prévention ne se font parfois sentir que des années plus tard, mais le but est d’enlever des mélanomes de plus en plus fins, à un stade plus débutant. Le risque de développer un mélanome à l’âge adulte se prend surtout pendant l’enfance et l’adolescence, sous la forme de coups de soleil. Quant aux carcinomes, ils sont plutôt favorisés par une exposition chronique au soleil sans protection suffisante, même sans coup de soleil. Le mélanome est le cancer de la peau le plus mortel mais on le guérit dans environ 75 % des cas. En Australie, où le taux de mélanomes est quatre fois plus important que chez nous, ils prennent des mesures drastiques par rapport au soleil depuis déjà plus de trente ans (les enfants doivent notamment porter un chapeau dans les écoles) : on y a assisté à une diminution de la mortalité due aux cancers de la peau ces dernières années.

La campagne d’Euromelanoma2 est axée cette année sur le délai de réaction en cas de tache suspecte. Pourquoi ?

N.R. : Aussi bien pour le carcinome que le mélanome, si le diagnostic est précoce, on guérit d’un cancer de la peau, après une petite intervention chirurgicale. Au-delà d’un certain délai qui dépend de l’agressivité de la tumeur et de l’immunité de la personne, là, on risque de devoir utiliser des thérapies ciblées pour le mélanome ou de l’immunothérapie mais qui ne garantissent pas une guérison à 100 %.

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Vous prônez l’auto-dépistage, qui serait pratiqué par 33 % des Belges, tandis qu’un Belge sur deux n’aurait jamais fait examiner ses grains de beauté par un dermatologue.

 N.R. : L’idée est de former les gens à l’auto-dépistage comme pour le cancer du sein. On peut suivre la règle de l’ABCDE pour détecter les taches qui sont Asymétriques, avec des Bords irréguliers, qui changent de Couleur, qui ont une Diamètre de plus de 6 mm et Evoluent en termes de forme, de taille ou de couleur. On s’auto-examine avec un miroir ou en demandant de l’aide à un compagnon ou une compagne, et à la moindre lésion suspecte, on consulte soit son dermatologue soit un généraliste qui peut orienter vers le dermatologue s’il confirme l’inquiétude. Mais on n’est pas médecin soi-même et il y a toujours des zones qui échappent à la vue. C’est donc toujours intéressant de faire un examen annuel chez le dermatologue ou un premier examen qui permettra au dermatologue de vous dire si c’est important pour vous de le faire annuellement ou pas.

A quel rythme l’auto-examen devrait-il se faire idéalement ?

 N.R. : Si on a une peau très à risque, claire avec des coups de soleil dans l’enfance, ou qu’on a vécu dans un pays ensoleillé, on recommande un auto-examen tous les mois ou les deux mois, en utilisant un miroir ou en demandant l’aide d’un compagnon ou d’une compagne.

Environ 80 % des dommages causés par le soleil à la peau surviennent avant l’âge de 18 ans. Est-ce lié à la finesse de la peau à cette période ?

 N.R. : Non, c’est plus complexe mais c’est une période fragile où le soleil abîme l’ADN des cellules cutanées plus fortement. Les études épidémiologiques, c’est-à-dire qui étudient les risques par rapport aux personnes qui ont un cancer de la peau à l’âge adulte, établissent une corrélation avec le fait d’avoir eu des coups de soleil dans l’enfance ou à l’adolescence. L’abus de soleil est un facteur de risque prouvé pour les mélanomes et les carcinomes mais il arrive plus rarement qu’on développe un mélanome sur une zone non exposée comme la zone génitale ou la plante des pieds. Il y a donc d’autres facteurs de risques à identifier, dont des facteurs génétiques.

Quelles sont les zones du corps ou du visage auxquelles il faut être particulièrement attentif quand on se protège du soleil ?

 N.R. : Le mélanome est plus fréquent au niveau du dos chez les hommes et des jambes chez les femmes, en corrélation avec l’abus de soleil. On veillera à garder son T-shirt, à protéger le tronc, les épaules, la nuque, les oreilles. Les carcinomes sont plus fréquents au niveau de la tête et du cou puisqu’ils sont corrélés à une exposition chronique. Donc ne pas oublier le chapeau, surtout chez les messieurs dégarnis mais aussi les enfants parce que le cuir chevelu peut être atteint.

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Quelles règles de vie adopter pour protéger les enfants et les adolescents, puisqu’une bonne protection solaire est recommandée toute l’année et pas seulement durant les vacances ?

 N.R. : Avant 3 ans, pas d’exposition directe, donc les couvrir, leur mettre chapeau, lunettes et crème solaire d’un indice 50 adaptée, contenant des écrans minéraux moins toxiques potentiellement puisqu’ils ne sont quasi pas absorbés. Ils reflètent le soleil et sont donc plus blancs, ce qui peut être considéré comme un désavantage pour les adultes mais comme un avantage pour les enfants puisqu’on voit mieux où on applique la crème. Après 3 ans, on reste évidemment prudent et on garde un indice 50 jusqu’à 12 ans. On adapte son comportement en fonction du type de peau, toujours en évitant le coup de soleil qui doit être considéré comme une sonnette d’alarme, le fait qu’on est allé trop loin dans l’exposition solaire. Il faudrait mieux sensibiliser les écoles. La meilleure protection reste le vêtement, un T-shirt à mailles serrées pour la Belgique et éventuellement un T-shirt spécifique anti-UV pour les pays tropicaux. L’écran dit total laisse passer quelques pourcents d’UV qui permettent d’avoir bonne mine mais ne protègent pas à 100 %. Pour atteindre les 98 % de protection avec l’indice 50, il faut en appliquer une bonne couche toutes les deux heures.

Un quart de tube de 125 ml pour tout le corps, toutes les 2 heures, c’est une norme peu suivie dans la pratique…

 N.R. : Elle a été calculée pour garantir la protection. Mais en Belgique, il y a toujours moyen de se mettre à l’ombre ou à l’intérieur après 2 heures d’exposition dans son jardin ou en ville. L’exposition solaire est souvent beaucoup plus intense en vacances, donc la crème solaire doit alors être mise de façon plus assidue et régulière (elle s’évapore naturellement, on transpire…) en évitant le soleil aux heures de midi (entre 12h et 15h). Mes patients me disent souvent qu’il leur est difficile de remettre de la crème toutes les deux heures, je leur conseille dès lors de choisir un indice plus élevé et de ne pas trop prolonger l’exposition au soleil.


  1. Enquête réalisée par Ipsos et La Roche-Posay du 3/12/14 au 8/1/15 dans 23 pays dont la Belgique, auprès de 19.569 personnes (500 à 1.000 par pays) âgées de 15 à 65 ans.
  2. Association paneuropéenne de prévention du cancer de la peau : www.euromelanoma.org


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