chronique psycho

La chronique psycho : inchangée et pourtant meilleure que jamais

J’ai récemment aperçu ce slogan sur une affiche publicitaire de McDonald’s. Il faisait référence au traditionnel hamburger de l’enseigne. Notez qu’il était écrit au masculin, mais je n’ai pu m’empêcher d’y mettre des « e » à la fin. Autrement dit, de me projeter. Comment est-ce possible d’être à la fois inchangée et meilleure que jamais ? Et surtout, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

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« Inchangée et meilleure », les deux combinés 

Difficile de se penser inchangée ou meilleure. Le temps qui passe rime avec rides et affaissement de poitrine. De surcroit, il ne rend pas forcément meilleure. Vous êtes toujours aussi timide à 50 ans passés que quand vous étiez adolescente, incapable d’aligner 3 mots en public sans rougir. Toujours aussi angoissée malgré des années de thérapie. Toujours aussi accro aux frites mayo. Bref, vous voyez l’idée.

Mais là n’est pas le propos de McDo. Ce dernier n’affirme pas que sa création est inchangée ou meilleure. Il clame qu’elle est les deux à la fois, inchangée et meilleure.

Autrement dit, il juxtapose deux termes à priori incompatibles, le premier indiquant une stagnation, le second une avancée. Notre cerveau rationnel n’étant pas adapté à un tel voltage, il s’y produit un court-circuit. On est forcé de lâcher la prise.

C’est alors que survient un effet particulier : on sort du pur monde matériel et de notre référentiel habituel. Les plus spirituelles d’entre nous diront peut-être que l’on transcende notre réalité. Pour aller où ? Dans notre vie intérieure. C’est là en effet que réside la signification de l’expression « inchangée et meilleure ».

« Inchangée et meilleure », un voyage intérieur

C’est uniquement dans notre vie intérieure, qu’on appelle aussi le cœur, que nous sommes capables d’accueillir simultanément deux opposés sans disjoncter. Dans cette partie de nous, les happy meals sans calories existent bel et bien. C’est d’ailleurs sans doute à cause de son aspect parfois surréaliste que certains ne la prennent pas au sérieux et la réduisent au statut de condiment. A tort, car elle est en fait la clé de tous nos festins.

Si notre CV n’a d’yeux que pour nos accomplissements de vie concrets, c’est bien à l’intérieur de notre musée privé que nos médailles les plus pérennes sont exposées. Celles que l’on a obtenues à 5 ans comme celles que l’on s’est offertes récemment. Jung, un des pères de la psychanalyse, a ainsi consacré l’intégralité de ses mémoires à sa vie intérieure.

C’est à elle seule que ce grand homme s’est référé quand pointèrent ses dernières années. Pourquoi ? Car, je le cite, le souvenir des faits extérieurs de sa vie s’est, pour la plus grande part, estompé dans son esprit ou a disparu. En revanche, ses aventures intérieures sont à jamais gravées.

« Deviens ce que tu es »

La combinaison des adjectifs discordants « meilleure » et « inchangée » rappelle la formule culte du philosophe Nietzsche (et du poète Pindare avant lui) : « Deviens ce que tu es ! ».

Cet énoncé produit le même effet à l’intérieur de nous. Là aussi, deux temporalités inconciliables, un étrange mélange des genres, plus obscur qu’une sauce curry au wasabi. Normal, c’est une déclinaison de ce célèbre mantra que McDo nous a servi en guise de publicité pour le déjeuner.

Reste donc à comprendre comment on peut devenir ce que l’on est déjà (ou à devenir meilleure en étant inchangée, c’est selon). Au menu du jour, je vous propose deux possibilités pour ce faire.

Option n°1 : En concrétisant votre potentiel

En nous enjoignant à devenir ce que nous sommes, Nietzsche fait référence à notre potentiel. Il nous invite à réaliser tout ce que nous avons en nous et que nous n’avons pas encore exploité, malgré plus de 50 années passées sur la planète terre. Ce fameux potentiel se loge à l’intérieur de nous. Il est nous. En revanche, on devient nous seulement quand on le réalise.

Par exemple, vous « la grande timide » notoire, il s’avère que vous êtes aussi une excellente plume. Alors, pour une fois dans votre vie, vous avez pris la décision de vous surpasser et d’accepter l’invitation de votre hiérarchie à prendre la parole au prochain séminaire de votre entreprise.

Après tout, nous sommes en 2020, il faut en profiter. Les 200 personnes présentes seront masquées, les visages qui vous terrifient tant seront bien cachés. Tout rictus capable d’habitude de vous déstabiliser vous sera épargné. C’est maintenant ou jamais, cette fois vous foncez ! Oui, vous allez y présenter le nouveau projet de livraison à domicile de plats bio pour tous les collaborateurs contraints au télétravail.

En réalisant votre potentiel, vous ferez mentir votre timidité. Il était grand temps. Après cette prise de parole publique, vous serez toujours la même, mais vous aurez gagné en puissance. « Platon avait raison, la victoire sur soi est la plus grandes des victoires. Vous aussi, osez ! », voici l’invitation que vous adresserez même peut-être à vos amis avec exaltation lors de prochains dîners.

Option n°2 : En allant vers vous-même

En revanche, ne vous étonnez pas si vos convives ne partagent pas tous votre enthousiasme. Peut-être que certains d’entre eux se sentiront gênés, tristes ou même coupables de ne pas encore être parvenus à se dépasser eux aussi.

Si tel est le cas, j’ai une bonne nouvelle pour eux. Il y a un autre chemin possible pour devenir soi et s’accomplir à tout âge. Plus doux, il ne nécessite pas quant à lui de se faire violence. Pour le saisir, il nous faut juste élargir la définition de potentiel afin d’y inclure également tout ce que nous sommes et que nous n’assumons pas (encore).

Dans cette nouvelle optique, il s’agit avant tout de s’accepter pleinement. En gros, nous sommes conviées à ne plus qualifier de « défauts » nos défauts. Après tout, l’enseigne de burgers nous a toujours clamé « venez comme vous êtes ». Les injonctions à changer, ce n’est pas trop le genre de la maison.

Cela revient par exemple à prendre conscience de sa timidité et à l’assumer sincèrement. On décline ainsi poliment l’invitation à prendre le micro, sans honte ni regret. On est franche avec soi-même et on célèbre ce que nous sommes. C’est-à-dire timide mais aussi peut-être … pas tant transportée que ça par le projet à défendre. Il faut dire aussi que les produits bio en question sont importés de contrées éloignées et qu’ils sont beaucoup trop salés.

On réalise alors qu’on avait failli céder à cause de pressions extérieures qui n’émanaient aucunement de nous (du genre, pour être mieux considérée par un supérieur généralement trop distrait pour nous saluer).

En fait, on comprend que dire poliment non à notre patron, c’est aussi se dire oui à soi-même. En refusant de se renier, on fait un pas avec fierté vers son authenticité. Voilà une autre façon de se réaliser. On en sort inchangée (toujours timide) mais meilleure (on ne subit plus sa timidité, on écoute enfin ce qu’elle a à nous dire depuis toutes ces années).

Magie, magie, les deux options mènent à destination

Ont été évoquées ici deux options pour devenir ce que l’on est. Soit on accepte pleinement sa condition, soit on la transforme. La magie de la chose, c’est que quel que soit le chemin choisi (l’option tonique n°1 ou l’option soft n°2), on avance toujours dans la bonne direction, on se dirige vers soi-même.

Une timide assumée est en effet une timide guérie. Incroyable, non ? Le simple fait de s’accepter inconditionnellement en tant que timide annihile les effets néfastes de notre timidité. Et cela vaut pour tout, quel que soit son âge. C’est ce que le psychiatre Victor Frankl a appelé l’intention paradoxale.

Pour se débarrasser d’une phobie ou d’une peur mal placée, une solution efficace serait de la désirer. Ce faisant, il arrive qu’elle disparaisse d’elle-même … comme par enchantement. Si vous avez peur de rougir en public, essayez ceci : fermez les yeux et visualisez mentalement le moment que vous appréhendez en vous évertuant cette fois de rougir le plus possible. Désirer ce que l’on craint, c’est le fondement même de cette technique thérapeutique connue pour faire disparaître nos symptômes embêtants.

La seule option à éviter : ni meilleure, ni inchangée

Voici maintenant et pour conclure la seule voie de garage à éviter à tout prix : subir indéfiniment une situation extérieure ou une prédisposition intérieure. Si l’on ressent sa timidité comme une malédiction sur laquelle on n’a aucune emprise, on est alors en lutte contre la vie (ah toutes ces opportunités ratées à cause de ma foutue timidité) et contre nous-mêmes (je dois absolument réussir à changer et à cacher cette honteuse timidité). Et par conséquence, on s’éloigne de soi-même.

Nietzsche prodiguait de ne pas rester trop longtemps dans cet état d’esprit, qu’il associait au nihilisme. Le cas échéant, toutefois, pas de panique. Par le simple fait d’être vivant, on finit toujours par avancer vers nous-mêmes, autrement dit par devenir inchangée et meilleure.

Quant au hamburger plébiscité en grand sur la photo, je ne puis juger s’il est devenu meilleur avec les années. Je suis désormais une végétarienne timide assumée.

Ouvrages de référence :

  • « Ainsi parlait Zarathoustra », de Friedrich Nietzsche

Une parabole pour penser le dépassement de soi

  • « Ma vie », de C.G. Jung
    La biographie de Jung ou l’histoire d’un inconscient qui a accompli sa réalisation
  • « Nos raisons de vivre », de Victor E. Frankl
    Les fondements d’un système thérapeutique qui fait écho à la philosophie de Nietzsche

 


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