violence dans le porno

La violence dans le porno: qui aime?

De l’homme ou de la femme, qui avoue un penchant plus prononcé pour une violence consentie dans le porno ? Focus sur une récente étude qui réserve des surprises.

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Claques, gifles, bifles, cheveux tirés, fellations forcées, gorges profondes, gangbang…. On arrête là la liste des gestes et comportements violents subis par les femmes dans les films pornos. Ils suscitent l’incompréhension des un.e.s, le malaise des autres et l’indignation des dernier.e.s. Ainsi nombre d’associations féministes dénoncent la marchandisation des corps féminins, leurs mépris et négation totale. Cette violence mise en scène dans des productions X est à l’image de la société patriarcale où les hommes dominent et décident quand ils n’abusent ou ne violent. Cette brutalité pornographique n’est pas anodine car elle facilite la misogynie et la déshumanisation des femmes réduites à n’être que de simples objets sexuels aimant de surcroît l’humiliation quand elle ne justifie pas la violence à leur égard au quotidien comme dans l’intimité. Cette violence peut encore faire croire aux femmes qu’elles doivent se soumettre aux désirs impératifs des hommes. Et pour les hommes aussi, elle peut être délétère et conditionner leur excitation à ne pouvoir orgasmer qu’en vivant de telles scènes. Elle peut encore rendre mièvre toute vraie rencontre sexuelle.

Tout cela est exact. Terriblement exact. L’éducation sexuelle comme l’explication de ce qu’est la pornographie s’impose dès lors. Il est essentiel de dire et redire que le porno est une mise en scène de fantasmes et non de réelles relations sexuelles. Fantasmes et réalité sont deux choses bien différentes. Faire l’amour comme dans un porno a toutes les chances de blesser, humilier et faire souffrir la.e partenaire.

Mais au-delà des mises en garde, il est intéressant de savoir que visionner du porno est une pratique courante pour les deux genres. Les femmes sont même de plus en plus nombreuses à regarder de telles vidéos. Si l’on en croit le site PornHub, le premier dans le secteur, elles formaient même 32% des visiteurs en 2019 contre 26% en 2017, devenant ainsi le groupe social connaissant la croissance la plus rapide parmi les consommateurs de pornographie en ligne.

Les femmes de plus en plus nombreuses sur les sites X

Et que pensent ces consommateur.ice.s régulier.e.s de la violence X; une sauvagerie qui on le note est dans la grande majorité, commise par des hommes hétéros sur des femmes. C’est ce qu’a voulu savoir le canadien Eran Shore. Pour ce faire, le professeur de sociologie  de l’Université McGill à Montréal au Canada a longuement rencontré 122 hommes et femmes de divers pays, groupes d’âge, milieux socio-économiques et orientations sexuelles différents (mais surtout formés) qui avaient tous en commun d’aller régulièrement sur PornHub, xhamster et autres sites hots. La majorité a confié ne pas se focaliser sur de telles images, ni les rechercher activement mais plus de la moitié des personnes interrogées (53,3 %) a déclaré avoir consommé au moins une certaine agressivité dans la pornographie.

Mais étonnamment davantage de femmes (65,6%), et non d’hommes (40%), se sont déclarées excitées par les scènes violentes et dégradantes où, on le souligne, le consentement semblait de mise. Si cette violence n’était pas consensuelle, pas moins de 95% des femmes la refusaient. Mais même acceptée, on aurait pu croire que la gent féminine se serait indignée contre de tels actes, pouvant s’identifier à la douleur ou à l’humiliation vécue par les actrices X. Et l’indignation aurait été d’autant plus compréhensible que les femmes ayant participé à l’étude étaient pour la plupart formées et sensibles à l’égalité des genres et à la cause féministe. Même parmi celles qui disaient qu’elles n’aimaient pas les violences sexuelles, la plupart ont confié dans un second temps qu’elles aimaient parfois regarder des actes comme la fessée ou des cheveux tirés, expliquant qu’elles ne percevaient pas ces actes comme agressifs mais consensuels et même agréables pour les femmes.

Autre fait surprenant, les femmes (35%) confiaient davantage que les hommes (21,1%) rechercher activement l’agression. De même les premières (34%) disaient vouloir voir plus d’agressivité dans la pornographie grand public que les hommes (6%). On note au passage que la violence dans les vidéos pornos est évaluée entre 2 et 90% selon les études; de telles différences s’expliquent par des définitions différentes de cette violence et des approches méthodologiques et d’échantillonnage divers.

Bien évidemment, on s’interroge sur le pourquoi du comment de ces résultats qui sont confirmés par des chiffres PornHub de 2018 montrant que les femmes étaient « deux fois plus susceptibles de regarder du contenu mettant en vedette “Gangbang” et “Double Pénétration” » et qu’en 2015 le « sexe brutal » et le « bondage » figuraient dans la liste des 16 premières recherches de PornHub par des femmes, mais pas par des hommes.

Erotiser la violence dans le porno

Pourquoi les hommes apprécient-ils moins que les femmes ces productions agressives alors que les vidéos X sont quasi entièrement faites pour eux? Les films sont centrés sur le plaisir masculin et non féminin. Un des éléments de réponse est peut-être à rechercher dans l’atmosphère sociale actuelle. Comme le dit l’auteur de l’étude, dans le sillage du mouvement MeToo, certains hommes peuvent se sentir mal à l’aise à l’idée de partager leurs points de vue et leurs préférences réelles de peur d’être taxés de misogynes ou tolérants par rapport aux agressions sexuelles. Peut-être ne fantasment-ils pas sur de telles scènes car ils ont le pouvoir et la puissance dans la vie réelle. Peut-être fantasment-ils sur d’autres choses. Certaines études ont d’ailleurs montré que les hommes préféraient les pornos où les femmes étaient insatiables plutôt que soumises et agressées.

Pourquoi les femmes ont-elles plus apprécié la violence sexuelle du X que les hommes? Parce que subissant la domination et l’agressivité dans la société patriarcale, elles trouvent dans ces vidéos une façon de les exorciser, les érotiser, les transformer en sources de plaisir? On sait que leurs fantasmes intègrent fréquemment la domination masculine, la soumission, le sadomaso comme le bondage. Quoi de plus logique dès lors qu’elles apprécient les images mettant en scène de tels fantasmes.  Est-ce là des moyens de revivre la violence en la dépassant sur le mode orgasmique? L’étude a montré que les femmes (39,3 %) avaient bien plus que les hommes (16, 7%) vécu une agressivité dure.

Quelles que soient les explications, la recherche bouleverse les visions traditionnelles que l’on peut avoir de la sexualité féminine et plus particulièrement de leurs fantasmes.

  1. Who Seeks Aggression in Pornography? Findings from Interviews with Viewers. Etude de Eran Shor. Publiée dans Archives of Sexual Behavior en novembre 2021


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