La Femme de la Semaine : Rencontre avec Pascale Bruggeman

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Le jour de son mariage, son mari lui avait prédit qu’ils auraient dix enfants. Elle l’a traité de fou. Aujourd’hui, Pascale a neuf enfants, dont cinq adoptés avec un handicap. Cette femme débordante d’amour ouvre également son foyer aux mères seules et enfants handicapés pour leur permettre de se ressourcer, de se confier et de retrouver un peu de spiritualité. En dédiant sa vie à la foi et à l’espoir, Pascale est l’héroïne d’une leçon d’humanité et de don de soi !

Wonderful Mum

Il n’est pas rare d’entendre, au détour d’une conversation, les innombrables problèmes liés à l’adoption. Comme pour tout, certaines croyances et certains préjugés prennent vite le pas sur les bienfaits que cet acte d’amour et d’engagement apporte aux enfants qui en bénéficient. L’histoire de Pascale est l’un des nombreux témoignages qui attestent de la force des liens que ces enfants biologiques et adoptés créent entre eux lorsqu’ils se retrouvent choyés au sein d’une même famille. Le destin de Pascale l’a menée sur la voie de l’adoption pour enfants handicapés. Le processus reste le même, les liens, eux, sont d’autant plus magiques.

Pascale témoigne : « Mon père est décédé lorsque j’avais 9 ans. Ma mère était une femme très autoritaire, ma sœur et moi avions extrêmement peu de liberté. Cette éducation trop stricte a entraîné chez moi de grosses périodes de dépression. À 18 ans, j’ai entrepris des études d’institutrice et j’ai rencontré mon mari, qui venait de s’inscrire à l’université. Son éducation était aux antipodes de la mienne. Il avait été placé dans un internat dès son plus jeune âge. Tombé dans la drogue à 12 ans, il avait déjà fait une overdose. À 16 ans, l’un de ses amis en est décédé et, suite à cela, il a décidé de partir en stop au Maroc pour quitter toutes ces mauvaises fréquentations. Il a eu la chance de rencontrer deux personnes qui l’ont pris sous son aile et qui l’ont aidé à reprendre des études. Tous les deux, nous avions cruellement manqué d’affection et nous avions dès lors le souhait de construire, à l’inverse, une famille joyeuse et accueillante. 

Cinq ans plus tard, nous nous sommes mariés et avons eu Jérémy, Benjamin et ensuite Marjorie. Les premières années étaient très compliquées, car mon époux était encore aux études et nous n’avions pas beaucoup d’argent. Mais, à la fin de celles-ci, il a très vite trouvé un travail dans une belle société. De fil en aiguille, il est devenu directeur financier. Nous menions une vie paisible et nous aspirions à pouvoir créer notre famille idéale. Nous avions tous les deux la foi et nous considérions que, lorsque l’on se dit chrétien, il est de notre devoir d’agir en conséquence. Il ne suffit pas de prononcer la parole, il faut “agir” la parole. Cinq ans après la naissance de Marjorie, nous avons donc rencontré le docteur Boldo. Avec son épouse, celui-ci tenait l’association Emmanuelle dont le but est de permettre l’adoption d’enfants handicapés. Nous avons lancé la procédure d’adoption, j’ai quitté mon travail d’institutrice et je suis devenue mère au foyer. Je ressentais que c’était ma vocation. Huit mois plus tard, nous avons accueilli Gauthier. Sa maman avait 12 ans et avait été victime d’inceste. Quand il est né, les médecins lui avaient prédit qu’il avait un mois à vivre, car il était polyhandicapé. Rien ne fonctionnait normalement dans son petit corps. Finalement, il aura vécu 10 ans : il est décédé à la suite d’une erreur commise par le kinésithérapeute de son centre. Il n’avait pas pris les précautions nécessaires, il a laissé mon enfant sur le bord de la piscine et Gauthier s’est noyé. Il n’est pas décédé immédiatement. Il a dû être mis sous respirateur et a généré la maladie des os de verre. Il a beaucoup souffert et nous aussi.

Quelques années après cette adoption, nous avons adopté Adrien. Il avait 8 ans. Il avait vécu les massacres au Burundi et était atteint de mutisme. Jérémy et Benjamin l’ont accueilli comme leur frère. Au bout d’une semaine, je l’ai envoyé à l’école avec les deux grands et il s’est révélé brillant alors qu’il ne parlait pas un mot de français. Il a remarquablement réussi. Aujourd’hui, il travaille pour une ONG américaine au Burundi, mais continue d’appeler constamment ses frères.

Deux ans plus tard, nous avons adopté Malika. Née d’un viol, elle venait d’Inde. Elle avait un important retard mental, car sa maman avait souffert de malnutrition. Lorsqu’elle est arrivée, j’étais enceinte de Camille. Elles ont grandi ensemble. Camille a pris Malika sous son aile de la même manière que Jérémy et Benjamin l’ont fait avec Adrien.

L’année où Gauthier est décédé, j’avais 40 ans et j’étais enceinte d’Amaury. Puis mon mari a perdu son travail. Cela l’a mené dans une grave dépression. Nous avons mis la maison en vente, mais personne n’a jamais désiré l’acheter. À cette époque, j’ai supplié Dieu de mettre les bouchées doubles pour que l’on s’en sorte. Quelques mois plus tard, nous recevions un dédommagement du centre de Gauthier qui nous a permis de tenir financièrement, jour pour jour, jusqu’à ce que Benoît retrouve un emploi. C’était un miracle ! Avant le décès de Gauthier, nous avions réaménagé la maison avec des appareils spéciaux. Il y avait trois solutions : soit nous les vendions, soit nous les donnions, soit nous nous lancions dans une dernière adoption. Finalement, lorsqu’Amaury a eu deux ans, nous sommes partis chercher Nicolas en Arménie. Il ne pouvait ni parler ni marcher. Il avait deux ans et demi. Amaury l’a directement considéré comme son frère. Les médecins avaient prédit que Nicolas ne marcherait jamais. Or, il a fini par marcher grâce aux appareillages. Pourquoi ? Parce qu’il était extrêmement volontaire et voulait tout faire comme son frère. D’un autre côté, c’était très valorisant pour Amaury d’avoir un petit frère qui le considérait comme un Dieu. Cela l’a aidé à prendre confiance en lui.

Ils se sont tous toujours entraidés. Tous mes enfants sans handicap se sont lancés dans des métiers d’engagement. Je suis convaincue que lorsqu’ils doivent apprendre à composer dès leur plus jeune âge avec des origines différentes, des caractères différents, des âges différents et les aléas de la vie, ils acquièrent une plus grande ouverture, une acceptation de l’autre plus forte ainsi qu’une plus grande humilité. Quant à mes enfants souffrant d’un handicap, ils sont arrivés chez nous avec des pronostics vitaux terriblement catastrophiques. Petit à petit, nous les avons vus s’épanouir, s’ouvrir et se développer bien mieux que s’ils étaient restés à l’hôpital. Ils sont dotés d’un désir de vie phénoménal. Ils se battent dans l’état qui est le leur et ils sont si souriants, c’est très interpellant. En tant que maman d’enfants handicapés, j’ai appris énormément : la patience, la résilience, l’abnégation. Bien sûr, ce n’est pas une chance pour les parents de mettre au monde des enfants handicapés, mais, quand nous nous laissons aller à l’amour et à la compassion, de très belles choses en ressortent. »

A 55 ans, elle concrétise un rêve

Pascale témoigne : « Lors de sa première dépression, mon mari a tenté de mettre fin à ses jours. Nous sommes rendu compte qu’il était maniaco-dépressif. Notre vie était rythmée par ses hauts et ses bas, c’était très compliqué. Il y a 8 ans, il a mis fin à ses jours. Il avait été hospitalisé à la suite d’une grosse dépression, mais les médecins voulaient le faire sortir. Je leur ai dit que c’était trop tôt, mais ils m’ont dit de le garder une nuit. Sur la route, il a sauté de la voiture et s’est jeté du pont. Je n’ai rien pu faire. Je me suis demandé si j’allais me remettre de cela, mais, heureusement, je m’y étais préparée depuis plusieurs années. J’avais étudié la maniaco-dépression, j’avais appris à comprendre la maladie et je savais où cela pouvait mener. Les assurances ont pu jouer, car j’étais contre sa sortie. Si ça n’avait pas été le cas, je perdais tout du jour au lendemain. J’ai pu garder la maison, avoir une pension de veuve, etc. Grâce à cela, j’ai pu me lancer dans de nouveaux projets. Je suis devenue présidente de l’association Emmanuelle Adoption. Je continue de soigner mes enfants et j’accueille ceux en attente d’une famille. J’ai aussi repris des études de coaching pour aider les mères célibataires. Cela avait toujours été un rêve et me voilà en train de le concrétiser à 55 ans. Je me considère comme quelqu’un d’extrêmement chanceux. »

Mieux la connaître…

Sa citation préférée : « J’ai mis devant toi le bien et le mal, la mort et la vie. Choisis-le bien, choisis la vie, pour que ton esprit demeure longtemps. » Pascale affectionne particulièrement ce verset de la Bible. Elle remarque que notre culture est dirigée vers la « mort ». Pourtant, même si nous avons reçu une éducation accompagnée de croyances, il est de notre responsabilité de faire des choix — parfois difficiles — pour suivre le chemin de la vie : celui de l’authenticité, de l’amour et de l’honnêteté. Pour elle, se réfugier dans des choix faciles en se convainquant que notre situation est due au décès d’un être cher, à la faute d’un tel ou parce qu’on a vécu tel ou tel événement, c’est subir son sort et cela revient à prendre symboliquement la route de la mort, de l’inactivité et du fatalisme.

Ses super pouvoirs : Sa foi, son enthousiasme, son optimisme à toute épreuve et son amour inconditionnel. Pascale se considère comme terriblement chanceuse d’aimer, de partager et de donner, car il y a plus à y gagner qu’à recevoir.

Son conseil : Lisez ! Lisez autant que vous le pouvez, car la vie est un éternel apprentissage. La lecture a le pouvoir de vous transmettre des années d’expérience en quelques pages. Lire vous aide à prendre du recul, à donner du sens, à gérer vos émotions, à vous construire et vous élever.

Son rituel pour prendre du recul : Lorsque Pascale se retrouve dans un environnement un peu trop tendu, elle trouve refuge dans une chapelle ou part en randonnée dans les bois, avec son chien. La solitude et le silence l’aident à réfléchir et à se ressourcer.

Son plat préféré : Depuis plusieurs années, Pascale est végétarienne et suit le mouvement « Colibri » du philosophe Pierre Rabhi, qui est fondé sur un désir de revenir à la sobriété heureuse. Elle se nourrit donc uniquement de nourriture saine et indispensable au bien-être. Et comme elle ne fait jamais les choses à moitié, elle a créé une antenne à Spa pour fédérer tous les producteurs bio de la région ainsi que les initiatives zéro déchet.

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Cet article vous a plu ? Ne manquez pas la rencontre avec notre Femme de la Semaine prochaine ou découvrez notre rencontre de la semaine dernière, avec BJ Scott ici !


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