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Rencontre avec Typh Barrow : le phénomène belge du moment

Longtemps en quête de perfection, l’auteure-compositrice-interprète (que vous avez peut-être aperçue à la télé dans The Voice) a dû accepter ses failles, ses fragilités, sa voix fêlée pour trouver sa voie. Adepte de la méditation comme du saut à l’élastique, elle assume ses paradoxes et avance vers plus de sérénité.

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« Il n’y a pas de talent, il n’y a que de l’envie ».

Pas besoin d’emmener Typh Barrow pas à pas de la superficie de l’échange social vers les profondeurs de l’être, du ressenti lors d’une interview Divan. Tiffany se connecte instantanément aux couches profondes de sa psyché et a fait de l’auto-analyse un précieux outil pour progresser dans l’existence.

Super bosseuse – elle a fait des études de droit en trois langues en même temps que le Conservatoire de jazz -, elle commence à écrire ses premières chansons à 12 ans mais confie humblement : « Jacques Brel disait qu’il n’y a pas de talent, il n’y a que de l’envie. » C’est vrai, quand j’entends les enregistrements, il n’y a aucun talent dans ma voix d’enfant. Elle était même horrible. Mais j’étais tellement complexée par cette voix de garçon que cela m’a donné la rage, la volonté tenace d’en faire quelque chose de beau. »

Typh Barrow

Crédits : Emmanuel Laurent

Imprégnée par la musique blues-jazz-soul qu’écoute son père à la maison, la pianiste se reconnaît dans son « côté viscéral » et y laisse s’exprimer sa part sombre. « Cela a été salvateur », dit-elle aujourd’hui. La scène et les sports extrêmes (parapente, parachutisme…) lui procurent d’ailleurs les mêmes sensations fortes, le sentiment grisant de vivre pleinement et de dépasser ses peurs.

Alors qu’elle ressort de son expérience de coach à The Voice Belgique (« une aventure enrichissante et intense sur le plan humain, musical, télévisuel, mais une aventure chronophage et énergivore »), alors qu’elle compose le successeur de son premier album Raw (sorti en janvier 18) et qu’elle donne une nouvelle série de concerts1, elle s’est arrêtée pour nous parler en toute sincérité.

Quelle enfant as-tu été ?

Typh Barrow : Le premier adjectif qui me vient, c’est ‘docile’. Ma mère m’avait inscrite à une agence de mannequins. Toute petite, je faisais beaucoup de shootings photos qui duraient parfois des journées complètes jusque très tard. Mais je m’appliquais parce que j’avais envie qu’on soit content de moi, qu’on me valide. Je voulais être parfaite par peur de ne pas être aimée.

J’étais aussi assez joyeuse et très active. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont permis de faire toutes les activités extrascolaires que je demandais : le piano dès 5 ans, le théâtre, la danse, la gym… Je me demande d’ailleurs comment ma mère a fait puisqu’elle courait dans tous les sens. J’ai également le souvenir d’avoir été une petite fille qui gardait beaucoup de choses en elle pour correspondre à ce qu’on attendait d’elle.

Mais tu aimais déjà être dans la lumière, si petite ?

T.B. : Cela me plaisait de me sentir chouchoutée, mise en valeur. Et c’était chouette que j’aie l’argent de ces shootings publicitaires sur un compte pour après mes 18 ans. J’étais déjà en quête de reconnaissance, inconsciemment. Mais j’ai vécu des épisodes assez borderline. Comme quand un photographe doué mais un peu dérangé m’avait plongé la tête sous un robinet d’eau glacée puis m’avait shootée en petite culotte, alors que j’étais terrorisée. Je ne parlais pas des côtés négatifs de ces prises de vues à mes parents mais je leur ai quand même fait comprendre cette fois-là que je ne voulais plus aller chez lui.

Quelle relation as-tu avec ton père et ta mère ?

T.B. : J’ai toujours été protégée, privilégiée, tout en ayant cet état d’esprit qu’il fallait mériter les choses, travailler. Ma maman est comme ma meilleure amie. Je suis très proche d’elle sans être fusionnelle, donc c’est sain. C’est quelqu’un de pudique dans ses sentiments. Au contraire de mon père, plutôt explosif. Il est très aimant, courageux, fort et incarne à mes yeux une figure paternelle très dominante. Orphelin polonais, il a grandi dans la rue, il s’est fait tout seul et a dû se débrouiller dans des situations dures.

Parfois, il avait une façon un peu maladroite de nous éduquer mais il se saignait pour m’acheter mes instruments de musique, mes tables de mix… J’ai grandi avec l’idée qu’on ne peut pas s’apitoyer sur son sort. Et que montrer ses faiblesses, c’est être faible. Je me suis donc construite avec une carapace.

typh barrow

Crédits Photo : Emmanuel Laurent

J’ai aussi grandi avec cette idée qu’il fallait que je fasse toujours mieux. Avec le sentiment que ce n’était jamais assez bien. Donc, quelque part, je ne me suffisais jamais à moi-même. J’aime mes parents de tout mon coeur et je me sens chanceuse à bien des égards mais je sais aussi ce qui a joué dans la personne que je suis aujourd’hui. J’ai beaucoup analysé les choses. La musique a été un très bon exutoire, l’endroit où je pouvais tout évacuer.

C’est pour ça que tu en as fait ton métier ?

T.B. : Tout se tient très fort. Quand j’ai commencé à faire de la musique, ce n’était pas pour les bonnes raisons. Je cherchais à combler une faible estime de moi-même par la reconnaissance. Sauf qu’à un moment, je me suis rendu compte que je recevais énormément d’amour, d’admiration, mais pas pour ce que je suis, plutôt pour ce que je fais. En fait, tu ne nourris rien avec ça. Cela flatte l’ego qui n’est rien d’autre que de l’insécurité déguisée quelque part. J’ai dû comprendre ça, aller creuser et j’ai fini par faire ce métier pour les bonnes raisons qui sont de pouvoir donner aux autres un peu d’émotion, de joie… La musique a la faculté de soigner les âmes. Si je sors d’un concert et qu’une seule personne me dit que je lui ai fait du bien, ma mission est réussie.

La musique a aussi été tout de suite un endroit où tu pouvais sortir des choses qui sinon restaient enfouies ?

T.B. : Oui, sortir des choses de ma petite boîte noire. Quand mes proches ont découvert mes chansons au début, ils étaient incrédules. Ils pensaient que ce n’était pas moi qui les avais écrites. Elles étaient tellement sombres et torturées… Cela leur semblait impossible qu’elles viennent de la Tiffany qu’ils avaient en face d’eux. J’ai commencé à composer à 12-13 ans et on continue à interpréter en concert certains morceaux que j’ai écrits à 17-18 ans.

Mon écriture a bien sûr évolué, elle est beaucoup plus légère et drôle. Mais cela reste plus facile d’écrire quand c’est tourmenté, quand il y a une douleur. C’est l’image de Gainsbourg avec le ciel. Si tu prends une photo d’un ciel dégagé, tu auras du bleu. Si tu prends une photo d’un ciel tourmenté, il s’y passera beaucoup plus de choses, avec les ombres, les couleurs, les nuages. C’est un peu pareil en musique. C’est aussi pour ça que j’ai appelé mon album Raw (Brut en anglais). C’était l’idée de me montrer telle que je suis, c’est à dire brute de décoffrage.

À quel moment as-tu pris conscience du potentiel de ta voix ?

T.B. : C’est d’abord passé par un processus douloureux. J’ai un kyste sur les cordes vocales depuis que je suis toute petite. Il est venu selon moi de tout ce que j’ai refoulé. Mes profs de musique disaient à mes parents que je chantais comme un garçon, que ma voix n’était pas normale… Je le vivais très mal. D’autant que j’étais proche en âge de mon frère, donc on a beaucoup joué ensemble au foot, avec ses potes.

Dans mon processus d’identification, cela n’a pas été simple parce que tout cela ensemble m’enfermait dans une image de moi fort masculine. Mais cela m’a donné l’envie de travailler ma voix. J’ai commencé à jouer dans des petits piano-bars, j’ai rencontré mon manager, on a lancé mon projet. Il y a environ 5 ans, lors d’un de mes premiers gros concerts, alors que j’étais affaiblie par un virus, j’ai perdu ma voix sur scène. Le médecin m’a dit qu’il fallait opérer pour enlever le kyste.

Typh Barrow

Crédits Photo : Emmanuel Laurent

J’ai plutôt écouté mon instinct et j’ai refusé. À la place, je me suis tue pendant un mois. Et j’ai mis en place plein de choses pour prendre soin de mes cordes vocales. J’ai écouté le message : je devais apprivoiser ma voix mais aussi qui je suis. J’ai commencé un travail d’introspection. J’ai réalisé que, contrairement à ce qui m’avait été inculqué inconsciemment, la vraie force, c’est d’assumer ses faiblesses.

Ce travail d’introspection est passé par le développement personnel ?

T.B. : Oui. C’est parfois le travail d’une vie de trouver sa sérénité, son équilibre, son bonheur. J’explore toutes les pistes que je peux : cela va des thérapies énergétiques à la méditation. L’expérience la plus marquante pour moi a été ma retraite Vipassana dans les montagnes au Venezuela. Soit dix jours de méditation où on arrête toute forme de communication : on ne parle pas, on ne lit pas, on n’écrit pas. Pour vider les couches supérieures du cerveau des informations dont on est inondés à longueur de journée.

Au début, le cerveau est avide d’informations. Je me suis surprise à lire 15 fois la liste des ingrédients de mon shampoing (rires). Une fois que le cerveau se calme, on commence à descendre dans les couches plus profondes de l’inconscient et on a plein de souvenirs, d’émotions qui remontent. Cela a été une expérience étonnante parce que je ne m’imaginais pas pouvoir passer dix jours à méditer en silence, sans connexion avec l’extérieur.

Quand on sort de là, on est complètement reconnecté à soi-même et à tout ce qui nous entoure. Cela décuple l’intuition. J’ai observé plein de synchronicités dans les semaines qui ont suivi. D’ailleurs, j’ai fait cette retraite au début 2018 et 2018 a été une année exceptionnellement riche pour moi : la sortie de mon premier album Raw, la rencontre avec Maurane, l’Ancienne Belgique, l’album qui est devenu disque d’or, la proposition d’être coach à The Voice Belgique… Autant quand je suis sortie de cette retraite, je me suis dit que je ne le referais plus jamais, parce que c’est très dur, autant je suis de plus en plus en train de me dire que ce serait bien que je retourne faire un petit nettoyage (rires).

Qu’est-ce qui se passe pour toi quand tu es sur scène ?

T.B. : C’est assez contre-nature d’aller s’exposer devant des centaines ou des milliers de regards. Et ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, qu’on ait ce fameux stress, parfois des angoisses avant de monter sur les planches. Ce n’est pas simple. C’est mêlé aussi à de l’excitation.

Parce que cela te procure une telle joie, adrénaline, un tel partage, plaisir. C’est un grand saut. Tu sors complètement de ton petit confort. En plus, à chaque concert, j’ai l’impression de laisser un morceau de moi-même parce que j’y vais avec mes tripes. C’est un métier d’apprendre à gérer l’avant comme l’après. Ce sont des grands écarts pour le coeur et le cerveau. Tu reçois des doses d’amour de gens que tu ne connais pas, plein d’énergies dans tous les sens.

Puis tu rentres chez toi, chargé de cette énergie. Au début, je compensais en allant me jeter sur mon frigo, sans jamais atteindre la sensation de satiété. Je comprends très bien que dans ces moments-là, on puisse tomber dans des addictions pour compenser. Au fur et à mesure, on s’habitue aux sensations, on les apprivoise. Le yoga, la méditation et le jogging en forêt m’aident aussi beaucoup.

Les sports de l’extrême que tu pratiques (saut en parachute, à l’élastique, parapente…), tu compares cela à la scène ?

T.B. : J’ai fait la surprise à mes talents de The Voice de les emmener faire du saut à l’élastique. Certains ne savent pas ce qu’est la scène. C’était pour leur apprendre à gérer l’adrénaline, dépasser leurs peurs. J’aime me sentir vivre, avoir la sensation de m’être dépassée. Je suis un peu garçon manqué dans ma tête aussi. Je continue à pratiquer ces sports quand l’occasion se présente mais je ressens moins le besoin de le faire. J’aspire à plus de calme et de sérénité.

Ton perfectionnisme aujourd’hui, c’est un ami ou un ennemi ?

T.B. : Je continue à négocier avec lui (rires). C’était un peu inséré dans mon disque dur donc je ne sais pas l’éjecter. Mais quand je le vois pointer le bout de son nez, on discute. Il y a plus d’acceptation. J’ai appris à être plus tendre avec moi-même. Mais je suis encore en chemin et c’est très enrichissant. La perfection, ce n’est pas beau. Ce sont les failles qui laissent entrer la lumière. Et ça, je le comprends de plus en plus.

Est-ce que tu as des peurs ?

T.B. : Avant, j’avais très peur de l’échec. Puis j’ai compris qu’il n’y a pas d’échec, il n’y a que des leçons et des expériences. Il y a la peur du temps qui passe aussi. Mes bagues à tête de mort sont un peu une façon de conjurer le sort. Pour me rappeler que rien n’est permanent et pour mieux m’ancrer dans l’instant présent, plutôt que d’avoir peur.

Cette angoisse s’atténue grâce à la méditation. J’ai de plus en plus la croyance personnelle et subjective que la mort est juste la disparition du corps physique, qui nous fait peut-être accéder à un niveau de conscience supérieur après. Je relativise plus facilement, je me dis que de toute façon la peur paralyse. La peur qui me reste aujourd’hui, c’est celle de devoir me séparer des gens que j’aime le plus. Mais c’est sain et cela va de pair avec tout l’amour, toute l’affection que j’ai pour eux.

Mais tu ne dis toujours pas ton âge…

T.B. : Non, je ne le dis toujours pas. À la base, c’est lié à ma peur du temps qui passe. Mais c’est aussi et surtout lié au fait que le temps est une notion complètement subjective à mes yeux. Parfois, face à une personne de 40 ans, j’ai l’impression qu’elle en a 25. Et inversement. Tout le monde n’est pas égal face à la course des ans. Je ne comprends pas le besoin de me mettre dans une catégorie d’âge, alors que cela ne donne aucune indication sur qui je suis. Et je ne saurais pas me définir par rapport à mon âge parce que je me sens à la fois comme une petite fille et comme une vieille âme.

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Crédits Photos : Emmanuel Laurent

 


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