Le fromage suisse est avant tout attaché à un canton : Fribourg, Grisons, Valais, Jura, Appenzell, Thurgovie… et chaque région de Suisse est fière de son fromage. Dans ce petit pays, presque chaque village a sa laiterie tandis qu’on tombe sur une ferme à chaque coin de rue. On retrouve des petites fromageries de 4 ou 5 employés partout. C’est aussi grâce à cela que les fromages suisses sont si riches de leurs caractères différents, propres à chacun. Très longtemps associés à des vins rouges puissants, les fromages s’accordent de plus en plus avec des vins blancs, évoquant l’inadéquation des tanins avec le fromage. Nos experts Éric Boschman – sommelier titulaire de nombreuses distinctions – et Julien Hazard – maître fromager affineur -, nous ont trouvé les meilleurs accords vins-fromages, histoire de passer un hiver gourmand et réconfortant.
Le Gruyère AOP – Terre de Treimars
Éric Boschman :
Cépage : Syrah, Marselan, Caladoc
Domaine : Les Davids, situé à la limite entre le Lubéron et les côtes du Ventoux
Produits sur une vingtaine d’hectares, ce sont des vins fruités et structurés à la fois.
Pour accompagner le Gruyère AOP, cette cuvée 2018 en magnum me semble apporter la masse de tanin nécessaire, mais aussi beaucoup de finesse avec une jolie acidité en final.
Julien Hazard :
Le Gruyère AOP doit sa finesse et son goût si caractéristique au lait cru de première qualité provenant de vaches nourries d’herbe en été et de foin en hiver, et au savoir-faire des maîtres fromagers et des affineurs. Pas moins de 400 l de lait frais sont nécessaires pour la fabrication d’une meule d’environ 35 kg. Ce Gruyère AOP a été affiné pendant cinq mois dans des caves humides, ce qui va donner son goût typique. On retrouve une pâte assez souple et grasse avec des arômes floraux et une finale légèrement salée.
Appenzeller® – Rêve bleu
Éric Boschman :
Cépage : Muscat bleu venant des environs de Baulers, juste à côté de Nivelles
Domaine : Domaine du Chapitre
Le Rêve bleu est travaillé de façon un peu particulière, ce qui lui confère un peu de sucre résiduel en bouche mais très légèrement. Nous sommes loin des versions australiennes et autres vendanges tardives du genre. Il y a juste ici cette pointe de rondeur qui permet d’amortir la toute puissance épicée du fromage.
Julien Hazard :
L’Appenzeller® est l’une des plus grandes spécialités fromagères de Suisse. Le fromage le plus corsé de Suisse est fabriqué depuis 700 ans à la main, selon une tradition ancienne. Les douces collines situées entre le lac de Constance et le massif du Säntis, recouvertes de pâturages sains et généreux, offrent les conditions optimales à la production naturelle du lait cru servant à la fabrication de ce fromage. La région de production est très limitée. Les meules sont brossées pendant au moins trois mois, avec une saumure à base d’herbes de montagne, appelée «Sulz», dont la recette est toujours secrètement gardée aujourd’hui. Ce fromage est reconnaissable à sa croûte régulière et lisse, aux teintes brunes, orangées, qui cache une pâte fine et fondante. Affiné cinq mois, il porte la mention «surchoix». Il a un goût authentique, aux saveurs fruitées incomparables et une finale épicée.
L’Etivaz AOP – Mas Poupéras
Éric Boschman :
Cépage : 20 % Syrah, 80 % Grenache
Domaine : Appellation Côte du Rhône Mas Poupéras
Cuvée : Pour toi, je décrocherai la Lune
Ce vin élevé en cuve béton inox présente une bouche pleine, charnue, pleine de fruits, de la griotte, du poivre noir et des notes de garrigue. C’est ce qui en fait le compagnon idéal d’un bon morceau d’Etivaz AOP. L’Etivaz AOP est puissant en bouche et le vin est riche, mais pas lourd. Son côté fruité absorbera facilement les notes brutales du fromage.
Julien Hazard :
L’Etivaz AOP est un fromage d’alpage fermier à pâte dure au lait cru de vache qui est fabriqué entre le 10 mai et le 10 octobre dans le Pays-d’Enhaut en Suisse. Le lait cru est fourni par des vaches paissant sur quelques 130 alpages situés entre 1000 et 2000 m d’altitude. Produit dans des chalets, le lait est chauffé exclusivement au feu de bois dans des chaudières en cuivre. Fromage d’alpage par excellence, sa pâte est fine, onctueuse et souple, son goût très aromatique et subtilement fruité. Ce goût riche en arômes provient d’un large bouquet d’herbes naturelles et de la fumée du feu d’épicéa.
Tête de Moine AOP – Tío Pepe
Éric Boschman :
Cépage : Palomino
Domaine : Tío Pepe
La Tête de Moine est un classique de l’apéritif qui joue sur des arômes de noisette, possédant une belle acidité. Rien de tel que le Tío Pepe, ce sherry ultra classique à base du cépage Palomino pour l’accompagner. Il est à mon sens quasiment parfait dès qu’il s’agit d’apéritif. Faisant partie de la même famille d’arômes, le vin et le fromage se répondent.
Julien Hazard :
La Tête de Moine AOP tire son nom d’une coutume pratiquée jadis à l’abbaye de Bellelay où le prieur recevait chaque année une pièce de fromage par « tête de moine ». Ce fromage suisse est fabriqué dans des petites laiteries artisanales. Il prend la forme d’un petit cylindre dont le diamètre est égal à la hauteur. Il mesure 9 à 12 cm de diamètre et de hauteur, pour un poids de plus ou moins 800 g. Fabriqué à l’origine au XIIe siècle par les moines du monastère de Bellelay, sa production est passée dans les fermes détenues par le monastère lorsque le fromage fut donné à l’Église comme dîme. Dense, lisse et jaune en raison des fleurs de prairies, il possède un goût beurré et légèrement salé qui se révèle lorsqu’on le présente en rosettes (fleurs) à l’aide d’une girolle.
Vacherin fribourgeois AOP – La Dôle
Éric Boschman :
Cépage : Pinot noir et Gamay
Domaine : Cave Valcombe à Sion
Cuvée : Nuit d’amour, millésime 2020
La Dôle est un de ces rouges qui font tout le charme des vins suisses. C’est rond, friand, facile à boire. Presque comme de l’eau, sauf qu’il faut éviter de conduire après plus de deux verres. C’est le genre de bouteille que l’on aime à ouvrir avec des copains qui débarquent à l’improviste pour un barbecue ou pour déguster avec des fromages comme ce Vacherin fribourgeois AOP. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un vin qui respecte le compagnonnage sans l’écraser.
Julien Hazard :
Pur produit du terroir, le Vacherin fribourgeois AOP exprime subtilement toute la variété des arômes de la flore des Préalpes et du plateau du Pays de Fribourg. Produit avec du lait cru, il se distingue par sa pâte fine ainsi que par sa texture fondante et subtilement raffinée.
Raclette du Valais AOP – Féchy
Éric Boschman :
Cépage : Chasselas
Domaine : Cave Duprée
La côte dans la région de Vaud est un de ces lieux mythiques dans l’histoire du vin suisse. Le chasselas y est riche, nettement plus intéressant que ce que l’on raconte d’habitude à son sujet. Pour accompagner ce Raclette du Valais AOP, il est carrément idéal, n’ayons pas peur des mots. Sa fraîcheur et sa longueur en bouche font qu’il apporte à la fois de la tension et une charpente qui résiste au gras de la préparation.
Julien Hazard :
La richesse de la flore des montagnes et des Alpes valaisannes, le climat méditerranéen et le mode de production traditionnel confèrent au Raclette du Valais AOP un goût unique à la fois frais et corsé. Les fromageries des villages fabriquent le Raclette du Valais AOP à partir de lait cru entièrement naturel dans la plus pure tradition et selon une recette ancestrale. Afin de développer tout leur goût, à la fois frais et corsé, les fromages séjournent au moins trois mois en cave.
Tomme Fleurette – Susucaru
Éric Boschman :
Cépage : Inzolia, Malvasia, Nerello mascalese, Moscadella
Domaine : Frank Cornelissen
Frank Cornelissen est devenu, en quelques années, une légende du vin sicilien, alors qu’il vient de Flandre à l’origine. Il a très vite compris ce qui différenciait les vins d’ici par rapport aux autres. Cette cuvée Susucaru, c’est un travail d’orfèvre : 4 cépages assemblés à part égale sur un terroir compliqué et ça donne un résultat époustouflant. Pas un rosé sans âme ni couleur, mais bien un vin qui s’impose au premier contact avec nos papilles. À nos yeux, à Julien et moi, c’est quasiment un accord parfait tant pour les notes rondes et épicées du vin que la suavité de la Tomme Fleurette.
Julien Hazard :
La Tomme Fleurette est un fromage à pâte molle à croûte fleurie, fabriqué avec du lait cru de vache. La pâte lactique est crémeuse et onctueuse avec une structure fine. Elle a un arôme de lait frais avec une petite note animale et d’acidité. L’onctuosité s’accroît au fil du temps avec, en arrière bouche, des saveurs de noix.
Conclusion
Éric Boschman : » Il est loin le temps où papa sortait une bonne bouteille de rouge pour accompagner un camembert bien fait. Depuis une trentaine d’années, le monde de la sommellerie vibre et bouge au son des accords blancs avec le fromage. Osez donc un fromage, un vin, mais tous ceux qui aiment toucher le blanc préfèrent le boire avec le fromage. S’il est suisse, c’est encore mieux ! »
BIO Éric Boschman
Éric Boschman est un sommelier belge, né le 25 août 1964. Titulaire de nombreuses distinctions, dont celle de Meilleur sommelier de Belgique en 1988, il est aujourd’hui une personne de référence dans l’univers du vin en Belgique. Gastronome, truculent raconteur d’histoires, expert en vin comme en humour, Éric Boschman est devenu un label à lui tout seul. Après l’École hôtelière de Namur, quelques passages dans de très grandes maisons et l’ouverture de son propre resto – qui a connu bien des succès jusqu’à la consécration étoilée du Michelin – il dérive tranquillement du restaurant aux médias et aux animations, formations… Cette passion pour le vin va devenir sa marque de fabrique autant que son cheval de bataille. Presse écrite, guides gastronomiques, ouvrages dédiés aux vins connus et méconnus, mais aussi chroniques radio et télé… il est partout, l’expert incontesté et bien sympathique qui fait aimer le vin, la bière, les alcools, aussi de l’eau parfois, même aux plus réfractaires.
BIO Julien Hazard
Fromager-affineur né le 7 juin 1981 à Liège. Il est devenu fromager par les hasards de la vie… Étudiant en sciences politiques à Leuven, il constate que les grandes études ne sont pas faites pour lui. C’est à ce moment qu’il rencontre Fried Elsen. Après dix ans passés auprès de ce maître fromager affineur, il a ouvert sa propre boutique rue Vanderkindere à Uccle où il peut partager avec enthousiasme sa passion pour le fromage et les bons produits, avec une attention particulière pour les producteurs et artisans amoureux de leur métier. Seul au début, ils travaillent à présent à 10. Ils s’occupent de l’affinage du fromage et vendent aux particuliers en boutique, aux restaurants, à d’autres fromagers et, depuis fin 2018, on peut retrouver une gamme de leur propre nom dans les Délitraiteur. En 2018, il a co-écrit le livre Fromages d’artisans en Belgique avec Michel Verlinden. Il est également le président de la Fédération des fromagers de Belgique.