La Femme de la Semaine : rencontre avec Chrysline

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Rien ne prédestinait Chrysline à être élue Carolo de l’année en 2008 en guise de remerciements pour ses nombreux services rendus auprès des enfants brûlés et des malades. À vrai dire, Chrysline est née sous un particulièrement mauvais jour. Alors que tout pouvait sembler être perdu pour cette petite fille ayant subi de graves traumatismes durant son enfance, son pouvoir de résilience l’a menée sur un tout autre chemin… Désormais, surnommée « Chrysline, la dame de cœur », elle inspire par la positivité qu’elle a retirée de chaque épreuve que la vie lui a infligée !

La vie n’est pas une partie d’échecs

Violence, deuil, maladie, inceste, abandon, trahison, guerre ou épuisement. Autant de traumatismes qui nuisent à la stabilité de votre développement personnel. Le choc s’ancre inévitablement dans votre mémoire et y laisse des marques profondes pouvant entraver votre vision du monde. Tandis que certains tombent dans la dépression, d’autres parviennent à rebondir constamment face aux épreuves, à se développer grâce à elles et à en ressortir grandis. Cette capacité à surmonter les épreuves s’appelle la résilience. Comme Chrysline, les personnes ayant développé cette faculté amènent un message fort et rempli d’optimisme : « La vie n’avait pas très bien commencé pour moi. Mon père voulait un garçon. Il n’a pas du tout été heureux d’avoir une fille. Il me battait et m’enfermait dans la cave. Il battait aussi ma mère, il l’a même tailladée aux ciseaux. Malheureusement pour nous, à l’époque, les femmes ne quittaient pas leur mari. Il nous a fait vivre un enfer, mais grâce à cela, j’ai très vite imaginé les activités que je ferais lorsque je pourrais quitter cette maison. Cela a stimulé mon imagination et m’a donné l’envie de vivre pleinement. »

À cinq ans, j’ai été victime d’un grave accident qui m’a plongée dans le coma pendant trois semaines. J’ai été brûlée au 3e degré et j’ai dû être hospitalisée durant de longs mois. Outre la souffrance, je m’ennuyais car je n’avais pas de jouets et il n’y avait pas la télévision. Je regardais les gens par la fenêtre. Je trouvais qu’ils avaient l’air tristes. Je me disais que, plus tard, je choisirais un métier qui me passionne pour être heureuse de me réveiller chaque matin. Évidemment, mon père n’était pas de cet avis. Il voulait que j’aille à l’école ménagère. Mon institutrice primaire, Madame Neufort, s’est battue pour qu’il me laisse entamer des humanités, ce qu’il a accepté. J’avais 11 ans et je travaillais pendant les vacances et les week-ends pour payer mes cahiers et mes livres. J’ai fait des études d’enseignante, les seules que mon père acceptait. Au fond de moi, je savais que ce n’était pas ce que je désirais faire de ma vie, mais je suis tout même sortie 2e de ma promotion sur 48. Lorsque j’ai reçu mon diplôme, je l’ai donné à mon père et lui ai dit qu’à partir de maintenant, je ferais des études qui m’inspiraient. J’ai donc décidé d’étudier les relations publiques, à Bruxelles au CERIA. Ce métier me collait à la peau. Malheureusement, mon ex-mari n’appréciait pas la longévité des horaires à la RTB où je travaillais, et m’a demandé de faire un choix. J’étais amoureuse et j’ai fait le choix de rentrer dans l’enseignement en tant que professeur de morale laïque, comme on rentre dans les ordres. Je faisais du théâtre, depuis l’âge de 5 ans et je suis allée au conservatoire de Charleroi pour continuer de m’épanouir dans ma passion. Quelques années plus tard, je divorçais. J’ai élevé seule mes deux enfants, Dan et Bryan, c’est ma plus grande fierté ! »

« Tous ces événements m’ont permis de relativiser et de n’attacher d’importance qu’aux “choses” vivantes de la vie. Le reste n’est que pacotille matérielle. Ils m’ont également convaincue du fait qu’il y a toujours du positif à retirer d’une épreuve que la vie nous envoie. Par exemple, lorsque ma mère a accouché, mon père n’avait bien évidemment aucun prénom de fille en tête. Il a croisé un de ses collègues des ACEC, Gustave Lebrun qui lui a donné une carte sur laquelle il était inscrit « Chrysline », cela signifie “étoile” en égyptien. Il l’a donnée à ma mère et a dit : “tiens, tu l’appelleras comme ça”. Sans s’en rendre compte, c’est très certainement le plus beau cadeau qu’il m’ait fait. Lorsque je prends du recul sur ma vie, cela prend sens. De même, mes brûlures et le temps passé à l’hôpital sont la cause de tous les événements positifs qui me sont arrivés par la suite. Par exemple, peu après ma sortie de la clinique, ma grand-mère m’a emmené au théâtre des beaux-arts et je me suis dit qu’un jour, je serais sur cette scène. J’ai fait en sorte que ce souhait se réalise le jour où mon premier mari m’a demandé d’abandonner le travail qui m’épanouissait. Cet événement négatif au premier abord a, en réalité, engendré énormément de choses positives. Par exemple, en 1990, Jean-Paul Belmondo est venu jouer Cyrano au Palais des beaux-arts. Grâce à ma formation en relations publiques, un des responsables du PBA m’a demandé d’être présente durant ces 12 jours. Le deuxième jour, je me suis dit qu’il y avait inévitablement une raison à tout cela. J’ai donc décidé de contacter le rédacteur en chef de la Nouvelle Gazette, Daniel Liénard, et lui ai dit que je pouvais écrire quelque chose sur le séjour de Belmondo. Deux jours après la parution de l’article, ils m’ont proposé de devenir journaliste. C’est ainsi que ma nouvelle carrière a commencé. » Certaines personnes dans l’entourage de Chrysline lui ont dit qu’elle avait énormément de chance. Notre Carolo n’est pas d’accord avec ces dires, car cette chance est en réalité une attitude que nous adoptons au fur et à mesure de nos expériences. Nous ouvrons les yeux et nous saisissons les opportunités. Lorsque nous n’en apercevons pas, nous la créons en écoutant notre intuition et en respectant les valeurs qui nous animent.

Une bonne étoile

Chrysline nous relate : « En 2002, j’ai fondé l’association Edelweiss qui vient en aide aux enfants brûlés. J’ai choisi ce nom parce que durant mon hospitalisation, ma grand-mère m’avait envoyé cette petite fleur pour me porter bonheur. L’objectif est de récolter de l’argent pour équiper les salles de pédiatrie, en proposant des pièces de théâtre au grand public. Grâce à Edelweiss, les hôpitaux IMTR et Marie Curie ont désormais une grande salle équipée de bibliothèque, des coffres remplis de jouets, des télévisions et de vêtements pour les enfants en difficulté. Cette idée m’est venue à la suite de l’ennui ressenti durant mon passage à la clinique. À l’époque, il n’y avait aucun jouet ni livre pour divertir les enfants. Je voulais que les enfants hospitalisés aient l’opportunité d’oublier leur douleur et leurs problèmes et le seul moyen pour cela, c’est de les divertir par le jeu. Je suis convaincue qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. Si j’ai été brûlée, c’est parce que j’étais destinée à créer cette association, entourée de mes formidables comédiens. »

Chrysline a appris à donner du sens à chaque rencontre qu’elle prend comme un cadeau…  « En 1990, j’étais au 36e dessous. Je venais de me séparer de mon mari et ma mère était gravement malade. Lors d’une visite à l’hôpital, j’ai rencontré son pneumologue, le professeur Yernaux. Durant notre conversation, je lui ai dit que j’étais professeur de morale laïque. Il m’a dit qu’il leur manquait des assistants pour accompagner les malades en fin de vie, et m’a demandé si cela m’intéresserait de devenir assistante-laïque bénévole. Et, je le suis devenue pour tous les hôpitaux de la région de Charleroi et les maisons du 3e Âge. La première personne que j’ai rencontrée était une femme de 36 ans, maman de 2 enfants. Elle avait un cancer généralisé. Je me suis sentie stupide, car si je lui expliquais la raison pour laquelle j’étais si mal, en  l’occurrence mon divorce, elle aurait eu raison de me dire : “Prenez ma place et je prends la vôtre”. Nous ne nous rendons pas compte de la chance que nous avons d’être en bonne santé. Nous devons apprendre à relativiser nos malheurs. Si vous n’y arrivez pas, je vous conseille d’accompagner les malades en phase terminale, car ils vous transmettent une véritable leçon de vie. Cette rencontre n’était pas un hasard, mais un cadeau de la vie. La plupart du temps, les assistants laïques accompagnent des personnes âgées vers la mort. Dans ce cas-ci, il s’agissait d’une jeune femme avec des enfants, comme moi. Il ne s’agit pas d’un hasard, mais d’un message ! »


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